Des réservistes qui interviendraient depuis chez eux, armés et en uniforme, pour arriver en premier sur les lieux d'une intervention et "montrer du bleu" en attendant l'arrivée de la patrouille… voilà en résumé une idée développée par le général d'armée Christian Rodriguez, le directeur général de la Gendarmerie nationale (DGGN), lors de son audition par les sénateurs de la Commission des affaires étrangères, de la défense nationale et des forces armées, le 8 novembre 2023. Des propos qui n'ont pas manqué de faire réagir dans la sphère gendarmerie, notamment sur les réseaux sociaux. Et pas que positivement…
Alors que la montée en puissance de la réserve opérationnelle de la Gendarmerie est l'un des grands objectifs donnés à l'Arme par le chef de l'Etat, avec l'objectif, ambitieux, d'atteindre les 50.000 réservistes en 2027, la question de leur emploi et de leurs missions se pose. Ils prennent en effet de plus en plus de place dans la manœuvre globale de l'Institution, sollicités au quotidien pour renforcer les unités territoriales et assumer, parfois seuls, des missions de plus en plus diversifiées.
Des réservistes, armés chez eux, pour intervenir en premier
Évoquant la doctrine d'emploi des réservistes, le général Rodriguez a précisé "son idée" relative à l'engagement de réservistes depuis leur domicile. Une idée déjà évoquée il y a quelques mois, mais dont les rouages nécessaires à une mise en application s'assemblent petit à petit. Récemment, un décret est passé sur la possibilité donnée à certains réservistes (sans que les conditions ne soient pour l'heure détaillées) de conserver leur arme de dotation chez eux, tout comme ils conservent déjà leur uniforme, et le droit qui leur serait donné de la transporter dans le cadre de l'accomplissement de leurs missions. Ce texte de loi, relativement flou lors de sa publication au Journal officiel a pris tout son sens avec un éclairage apporté par le DGGN lui-même lors de son audition au Sénat.
J’ai l’idée du réserviste que l’on appellera pour montrer du bleu tout de suite quand il se passe quelque chose, parce qu’il a chez lui son uniforme. Et on a fait passer un décret il n’y a pas très longtemps, il y a une dizaine de jours, qui permet à ces réservistes de garder leur arme chez eux. Alors on ne le fera pas avec tous les réservistes, (…) mais on est capable de sécuriser le fait d’avoir une arme chez soi. (…) En gros, on prendra des gens que l’on connaît, qui pourront garder, dans un coffre qu’on leur fournira, leur arme, et quand il se passera quelque chose, on les appellera en leur disant : « Tu es chez toi? Et bien écoutes, vas à la mairie qui a été visitée. » Déjà, tu montres du bleu en attendant que la patrouille arrive, tu commences à prendre les identités des gens qui sont là, ou qu’il faudra entendre parce qu’ils ont vu quelque chose. Et ça permettra d’avoir quelqu’un rapidement sur place, ça permettra d’avoir quelqu’un qui sera reconnu comme étant aussi un gendarme parce que régulièrement il mettra la tenue, et ça aura un effet (…) même quand il ne travaille pas. Comme pour un gendarme d’active, quand il est en civile dans son club de foot : tout le monde sait qu’il est gendarme et ça produit de l’effet aussi : de sécurisation.
(…) Conceptuellement, il faut encore un peu le construire, mais il nous manquait le décret pour le maintien de l’arme. Donc en gros le policier en retraite, le gendarme en retraite, ou des gens comme des tireurs sportifs, des gens qui ont un rapport à l’arme tel qu’on le souhaite… mais nos réservistes sont formés à cela. Donc on y travaille, et on aura sans doute une possibilité d’aller au plus près assez rapidement. Il faut juste entourer de toutes les précautions nécessaires sur ces sujets-là.
Général d’armée Christian Rodriguez, le 8 novembre 2023, au Sénat.
Nombreuses réactions
Sur les réseaux sociaux, où l'extrait de l'audition a été partagé par des internautes, cette idée présentée par le DGGN n'a pas manqué de faire réagir. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'elle n'a pas été reçue positivement par la plupart des commentateurs, dont un certain nombre proches ou membres des forces de sécurité.
Outre les commentaires qui dénoncent l'idée comme étant celle de quelqu'un "hors sol" et "pas en phase avec les réalités du terrain", d'autres argumentent en présentant les risques de cette idée :
"Si à la limite on peut entendre que certain réserviste (aient) leurs armes, ce que je trouve vraiment limite, je ne suis vraiment pas sûr quand on te rabâche tout le temps de faire des patrouille à plusieurs, qu'envoyer un réserviste seul en première ligne soit une bonne idée", commente ainsi Arthus.
"Le mec va arriver solo, en tenue, au milieu de tout ça et va faire patienter les victimes le temps que la patrouille arrive… (Et) tout le monde saura où il habite… Brillante idée mon général!" commente "chic_flic" qui se présente comme un gardien de la paix.
"Oh la la… Des mecs connus qui auraient uniforme et arme à domicile, pourquoi pas. Et quand ils partent en vacances ils déposent tout à la brigade? Et se payent leur alarme, parce que le coffre..hein, 2 minutes pour l’ouvrir!" commente pour sa part "SergePhotos".
"Ca a au moins le mérite de la franchise : ça sert à montrer du bleu", relativise "Don Quich'Ork".
La question de la gestion des ressources humaines est aussi mise en avant :
"En plus de créer une cible, mettons nous du côté du (réserviste)… Le mec devient en gros gendarme d'astreinte à plein temps. Ce ne sera plus lui qui dit 'je suis dispo là pour filer un coup de main', mais la boîte qui lui dira "vas là, y a une inter'… Une potentielle présence de police/gendarmerie en permanence, mais gratuite (ou du moins payée que les 2 ou 3 heures où il bossera). (…) Sans compter le nombre de gus qui font ce que nous appelons chez nous "du tourisme policier" qui sont là pour vivre '90 minutes d'enquête' en live, sans être utile à l'effectif intervenant, voire le contraire", ajoute un internaute, visiblement fonctionnaire de police.
"Tout ça pour ne pas recruter de vrais gendarmes, pour faire des économies. Et alors le jour où ces réservistes feront usage de leur arme…" commente un autre se présentant comme "poulet réfractaire".
Enfin, pour le médecin urgentiste sapeur-pompier Patrick Hertgen, ancien vice-président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers, ce modèle serait même une comparaison avec celui des sapeurs-pompiers volontaires (SPV) d'astreinte à domicile, "même si ce n’est pas exactement pareil parce que le SPV se rend à la caserne et pas sur les lieux directement". Pour lui, "le premier problème est celui du cheminement sur les lieux de l’intervention".