Patrice, 45 ans, ex-intendant du Football club de Nantes (FCN), a comparu lundi 19 juin 2023 aux côtés de trois autres personnes, dont Christophe, un gendarme de 53 ans de Saint-Rémy-en-Bouzemont-Saint-Genest-et-Isson (Marne), près de Vitry-le-François.
Collectionneur de maillots "depuis vingt ans", le militaire avait connu l'intendant du club à l'occasion d'un "stage du FCN" en 2017. Il été placé sous contrôle judiciaire le 7 décembre 2022 pour "recel", mais n'a pas été suspendu de fonctions. Il attend désormais sa retraite militaire en 2024 pour aller vivre dans la maison qu'il est "en train de construire en Bretagne". Son avocat a d'emblée plaidé la nullité de cette procédure "irrégulière à double titre" : la perquisition menée dans sa caserne a été faite sans une "réquisition écrite" du parquet, et elle n'a pas été supervisée par un gradé de la Gendarmerie.
Une nullité de procédure admise, dans le principe, par le parquet
Un "capitaine" était bien "physiquement présent", selon la procureure de la République, mais il a "laissé libre cours" à la saisie des "nombreux" maillots de football collectionnés par Christophe, selon son avocat Me Antoine Barrière.
"Cet article [de loi, ndlr] est prévu pour protéger la Gendarmerie et le secret-défense", a convenu la représentante du ministère public. "Mais si cette irrégularité fait grief, elle le fait au détriment de la Gendarmerie, pas du prévenu ; ce serait donc à elle, et à personne d'autre, de le soulever."
La procureure de la République a donc "proposé d'accueillir l'exception de nullité" soulevée par la défense, mais de la rejeter sur le fond : l'infraction n'ayant pas été commise par un militaire "dans l'exercice de ses fonctions".
Le deuxième receleur présumé est Cédric, un informaticien de 33 ans qui a fait un remplacement au FCN en 2019. Bénévole au Metallo Sports Chantenaysien, un club de Nantes, il a échangé des messages avec Patrice pour avoir des maillots pour des jeunes défavorisés "qui viennent en tongs" au stade, selon son avocate Me Catherine Gréno.
"Pas de réassort en cour de saison"
Enfin, le dernier prévenu, Miguel, un "ami de longue date" de l'intendant du club, résident à La Roche-sur-Yon (Vendée) et âgé de 49 ans, était le seul à n'être ni présent ni représenté par un avocat à l'audience. Ce père de quatre enfants avait déjà deux condamnations au casier judiciaire, notamment pour "fraude" aux prestations sociales.
Sur le fond du dossier, la présidente du tribunal correctionnel de Nantes a donc commencé par rappeler comment s'écoulent les maillots du FCN : ils arrivent "en masse et vierges de toute inscription en juin" de chaque année. "Ils sont fabriqués en Asie et il n'y a pas de réassort en cours de saison" a confirmé sur ce point Me Jean-François Klatovsky, l'avocat du Club.
"Nounous" des joueurs et de leur staff, les deux intendants du FC Nantes Patrice et son collègue avaient alors la charge de gérer leur stockage et leur flocage au fur et à mesure de l'avancée de la saison. Trois maillots étaient ainsi systématiquement faits pour chaque joueur à chaque rencontre, a affirmé le prévenu.
La directrice des ressources humaines (DRH) du club a assuré à la police qu'il n'y en avait que deux à chaque fois. "En aucun cas" le second maillot inutilisé ne peut être vendu par un salarié, avait même soutenu Cathy Bancarel, à propos de ce "vol totalement interdit". "Le club a une boutique officielle, c'est là qu'ils se vendent", avait-elle conclu.
La DRH du FC Nantes contredite par l'avocat du Club
Toutefois, sur ce point, l'avocat du FCN lui-même l'a contredite à l'audience : les joueurs "doivent rendre" leur maillot après chaque match, mais ont la possibilité de le "garder gratuitement" et même de se faire "facturer" le troisième en cas de performance particulière du club. "En cas de défaite, un joueur ne le garde pratiquement jamais", a assuré Me Jean-François Klatovsky. "C'est là où l'enquête est un peu défaillante : il n'aurait pas fallu interroger une DRH", a ajouté l'avocat…
Toujours est-il qu'à la fin de chaque saison, la boutique officielle du FC Nantes "prend ce qu'elle veut" dans les stocks restants. Les intendants donnent le surplus pour faire de la place avant l'arrivée de ceux de la nouvelle saison, selon Patrice. "On a demandé un container mais ils [la direction, ndlr] n'ont pas voulu", a-t-il même affirmé.
C'est donc dans ce contexte qu'une partie des maillots inutilisés du FCN avaient été vus en vente sur les réseaux sociaux. L'affaire avait été révélée en décembre 2021, suite au signalement d'un collectionneur, a rappelé la présidente du tribunal. Captures d'écran de la plateforme eBay à l'appui, il s'était ému qu'un "salarié du FCN se faisait du fric sur le dos du club"…
Interrogé par les enquêteurs, Olivier Feneteau –à l'époque directeur de la sécurité du FC Nantes– avait alors lui aussi vu dans cette vente hors circuit officiel, un "vol" de maillots préjudiciable au club. Des chasubles, des coupe-vent et des chaussures étaient de la même manière rétrocédés à des "collectionneurs", que ce soient des modèles homme, femme ou enfant.
Une demande de discrétion qui interpelle
Intendant du FC Nantes depuis 2015 et personne-pivot dans ce dossier, Patrice avait finalement été inquiété au vu de ses "messages assez interpellants", selon la présidente du tribunal. Ce quadragénaire de Bouguenais (Loire-Atlantique) demandait de la "discrétion" aux collectionneurs qui lui versaient de l'argent en guise de "remerciement".
"Est-ce que tu peux comprendre que, si on me chope, je suis viré?", avait-il ainsi écrit à l'un d'eux. Patrice avait aussi parfois refusé de céder des maillots de gardien: ils sont "trop chiants à faire" et son binôme les "compte à chaque fois". "Moi je fais mon petit business, mais il ne faut pas être trop gourmand", avait-il aussi mis en garde l'un de ses interlocuteurs.
"Je demandais de la discrétion pour ne pas me faire enquiquiner par d'autres collectionneurs", a-t-il expliqué au tribunal. "Les joueurs ne seraient certainement pas contents d'apprendre qu'ils donnent leur maillot à Patrice pour qu'il me le donne et que je le revende", a confirmé Christophe, le gendarme et collectionneur depuis vingt ans.
"Moi je suis comme un gosse: pendant vingt ans, j'ai ramé comme un fou ne serait-ce que pour avoir un seul maillot… Alors, quand vous avez un contact comme lui dans un club, qui peut vous en avoir trois d'un coup, vous en prenez soin", a par ailleurs insisté le militaire pour expliquer pourquoi il faisait des virements à l'intendant du FC Nantes pour
le "remercier".
"Plus de 70.000 euros" générés, selon le FCN
L'ancien attaquant de l'Olympique lyonnais et de Chelsea (Angleterre) Florent Malouda –que le gendarme de Saint-Rémy-en-Bouzemont-Saint-Genest-et-Isson a "connu en Guyane"– lui donnait ainsi par exemple "des sacs entiers" de maillots. Et l'intendant du FC Nantes ne lui a "jamais demandé d'argent", ce qui ressort effectivement des pièces du dossier.
En attendant, le FC Nantes a évalué à "plus de 70.000 euros" le produit de cet abus de confiance de ce salarié qui n'a pourtant "jamais causé la moindre difficulté" et qui était "apprécié des joueurs et des coachs".
Le club de football de Ligue 1 n'a toutefois demandé que l'euro symbolique pour son préjudice : il n'y a "pas d'inventaire" du stock de maillots, de telle sorte qu'il est "impossible de savoir ce qui a été sorti des stocks de façon illicite".
Une "reconversion professionnelle contrainte"
Dans ce dossier "particulièrement délicat", il n'a donc "aucun élément financier à communiquer au tribunal" pour lui permettre d'évaluer son préjudice. L'intendant "a eu l'élégance de venir nous voir et nous dire qu'il ne pouvait plus exercer son activité au sein du club", a simplement dit l'avocat du FCN. Une "rupture conventionnelle" a alors été conclue entre les deux. Mais il s'agit d'une "reconversion professionnelle contrainte" comme chauffeur VTC, a rappelé l'avocat de la défense. "Tout le monde dans le club était au courant : l'assistante personnelle de l'intendant lui envoyait des messages pour lui dire "Le président voit son neveu le week-end prochain, penses-tu pouvoir lui mettre de côté un maillot de telle taille ?"", a ainsi rappelé Me Hugo Tran au tribunal correctionnel de Nantes.
Une quinzaine de joueurs et l'entraîneur du club de l'époque, Antoine Kombouaré, ont d'ailleurs "manifesté par écrit leur incompréhension" par rapport à ces poursuites et leur soutien à leur intendant, jusqu'alors inconnu de la justice. "Tous les clubs font comme cela. C'est aussi le cas au FC Lorient car cela permet de faire plaisir aux copains en même temps."
Me Antoine Barrière, l'avocat du gendarme inquiété dans cette affaire, a appelé le tribunal à "laisser tomber cette procédure mal boutiquée que le parquet a voulu faire tenir". Il faut "arrêter les frais". Son client s'est par exemple fait saisir une valise de Sylvain Wiltord… "alors que l'ex-international français a évolué au FCN en 2011-2012, il y a plus de dix ans, en dehors de la période de prévention des faits ! "J'espère que le club l'a gardée, car même s'il n'y avait pas de relaxe, il va falloir la lui rendre", a prévenu Me Antoine Barrière.
La procureure de la République n'est pas du même avis. Elle a demandé huit mois de prison avec sursis pour l'ancien intendant du FCN, et pour son "ami de longue date", gendarme de La Roche-sur-Yon, trois mois de prison avec sursis. Par ailleurs, c'est finalement une relaxe qui a été demandée pour l'informaticien nantais au vu des "maigres investigations téléphoniques" des enquêteurs pour ce qui le concerne. Le tribunal, qui a mis son jugement en délibéré, rendra sa décision le 3 juillet 2023.
(Avec PressPepper)