Un adjudant de 36 ans victime de harcèlement moral a obtenu, mercredi 19 octobre la condamnation de l’État par le tribunal administratif de Strasbourg, alors que l’enquête de l’inspection générale de la Gendarmerie (IGGN) avait conclu à l’absence de harcèlement à son encontre, a-t-on appris auprès de son avocate, Me Elodie Maumont.
Les faits se sont déroulés au sein de la brigade de proximité d’Hochfelden, dans le Bas-Rhin, rattachée à la communauté de brigade (Cob) de Truchtersheim-Hochfelden. En 2019, le gendarme en question est maréchal des logis-chef. Il introduit une demande de mise en œuvre de la protection fonctionnelle en s’estimant victime de harcèlement moral de la part de ses deux supérieurs hiérarchiques – qui ne sont plus en fonctions depuis 2019 – , la lieutenante commandant la Cob et l’adjudant-chef commandant la brigade de proximité. L’administration lui accorde alors une assistance juridique évolutive.
Les choses en restent là jusqu’en septembre 2020, lorsqu’une maréchale des logis-cheffe de son unité dénonce à son tour des faits de harcèlement via la plateforme Stop-discri. Entendu dans ce cadre par l’antenne déconcentrée de l’IGGN de Metz en mars 2021, le gendarme en profite pour dénoncer les faits dont il s'estime victime.
Des courriels le qualifiant d'"Iznogoud" ou de "jeune loup"
A l’appui de ses dires, il produit des courriels récupérés sur l’ordinateur de son supérieur par un tiers dont il refuse de fournir l’identité. A l’intérieur, l’adjudant-chef et la lieutenante le qualifient de "jeune loup" qu’il faudrait faire revenir "dans sa tanière" ou encore d’"Iznogoud" persuadé d’avoir toujours raison. Les deux supérieurs du gendarme qualifient également de "cadeau de Noël" une lettre d’observations déposée sur son bureau.
Mais "ces courriels ayant été obtenus de manière non-conformes, l’IGGN va refuser d’en tenir compte", explique Me Maumont. Pis, ajoute-t-elle, "ils ont fait une dénonciation en vertu de l'article 40 auprès du procureur". Le gendarme victime de harcèlement s’est donc retrouvé auditionné comme témoin par la section de recherches de Metz où l’officier supérieur qui l’interrogeait "a insisté sur le fait que, quelle que soit la décision du procureur, il y aurait une procédure disciplinaire ouverte par le commandant de région", s’insurge Me Maumont. Finalement, le sous-officier écopera d’un rappel à la loi.
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"Une réelle animosité et une intention de nuire à l’intéressé"
Malgré l’enquête interne très défavorable, le tribunal administratif de Strasbourg a eu une toute autre lecture des événements. Dans son jugement il estime en effet que sa hiérarchie a pu avoir des propos qui "révèlent une réelle volonté de mise à l’écart du requérant et excèdent l’exercice normal du pouvoir hiérarchique". S’agissant des courriels piratés, les juges administratifs estiment qu’ils "révèlent une réelle animosité et une intention de nuire à l’intéressé".
Ils relèvent également que "des propos dénigrants à l’égard de sa personne ont été régulièrement tenus par sa hiérarchie en présence d’autres militaires" et pondère les accusations "d’insubordination" par les témoignages de ses collègues soulignant au contraire qu’il ne s’était "jamais départi d’une attitude respectueuse à l’égard de sa hiérarchie".
La notation d’une ex-gendarme confirmée en appel
Enfin, le tribunal administratif note que toute cette affaire a eu "un retentissement sur son état de santé et sa vie sociale" et qu’elle est "au moins en partie, à l’origine de l’apparition d’un syndrome anxieux dépressif" qui lui vaut d’être en arrêt maladie depuis quelques mois.
"Pour l'IGGN, le harcèlement moral n'existe pas"
Au final, le tribunal administratif décide de condamner l’État car "le ministre n’apporte pas d’élément de nature à établir que les agissements en cause seraient justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement". En clair, au vu des éléments invoqués par le gendarme, c’était à l’administration de prouver qu’il n’y avait pas eu de harcèlement à son égard.
L’Etat a donc été condamné à verser au sous-officier 5.000 euros pour son préjudice moral, ainsi que 1.500 euros de frais de procédure. Une victoire pour Me Maumont, qui reproche à l’IGGN de faire "la pluie et le beau temps" dans ce type de procédure, et "pour qui le harcèlement moral n’existe pas". Sur son blog, elle se demande "quelle sera l’action corrective de la Gendarmerie nationale à l’encontre de l’IGGN dont les conclusions d’enquête sont manifestement erronées" ?
Le ministère de l’Intérieur a deux mois pour faire appel de cette décision.