"Les réserves de la Gendarmerie, c’est un concept extraordinaire", dit tout de go un ancien directeur de l’Arme. Un concept sur lequel lorgne d’ailleurs le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. "Nous allons doter la Police nationale d’une réserve opérationnelle comme celle de la Gendarmerie", annonçait-il fin janvier, à l’ouverture du Beauvau de la sécurité.
En ajoutant: "La réserve opérationnelle de la Police compte actuellement près de 5.000 réservistes, dont 90 % de retraités. Je veux la rajeunir et atteindre le chiffre de 30.000, comme dans la Gendarmerie."
Des hommes et des femmes plutôt jeunes
On ne pouvait trouver meilleur compliment. La réserve opérationnelle de l’Arme est en effet formée d’hommes et de femmes plutôt jeunes. Et elle constitue bien l’un des grands atouts de la Gendarmerie, malgré un manque de financement récurrent.
L’une de ses grandes forces, c’est l’emploi des réservistes dans leur zone de résidence. Un avantage d’ailleurs mis en exergue dans les brochures de la Gendarmerie pour inciter les jeunes, à partir de 17 ans, à s’engager dans la réserve opérationnelle.
La Direction de la Gendarmerie met également en avant la possibilité d’endosser l’uniforme pour des périodes courtes, de renforcer les gendarmes d’active sur des missions sensibles.
Un autre point fort de l’organisation de la réserve opérationnelle est le choix direct par les réservistes de leurs missions, plusieurs semaines à l’avance, grâce au système Minotaur (Moyen d’information opérationnelle et de traitement automatisé de la réserve).
Toutes les missions, sauf le maintien de l’ordre
Autre atout, l’emploi des réservistes sur des missions très diverses aux côtés de gendarmes d’active: contrôles routiers lors de la pandémie de la Covid-19, surveillance des frontières terrestres et maritimes pour tenter de freiner l’immigration clandestine, secours à la population lors des catastrophes naturelles, contrôles des flux humains lors du Tour de France, renforts hivernaux ou estivaux dans les stations de ski ou les villes balnéaires. La liste est longue… Et comporte une exception: le maintien de l’ordre.
La disponibilité demandée est plutôt bien acceptée par les réservistes, malgré une rémunération loin d’être mirifique. Même nette d’impôts, si on la rapporte au nombre d’heures effectuées, elle se traduit par moins d’une dizaine d’euros de l’heure. Pas de quoi s’enrichir outre-mesure.
Les missions des réservistes opérationnels sont en effet payées entre 53 euros par jour pour un militaire du rang et 183 euros pour un colonel, soit une moyenne de 106 euros, et réglées 32 jours après la mission.
"Effectivement, assure le major Emmanuel, 55 ans, réserviste depuis 1986, nous sommes mal payés." Mais, ajoute-t-il, "je ne sers pas dans la réserve pour l’argent, mais pour servir l’Etat". Pour autant, il ne veut être perdant et dénonce le faible montant du remboursement des frais de route.
Réserves: 600 réservistes supplémentaires par jour jusqu’à la fin de l’année (actualisé)
"Nous étions 2 réservistes à l’époque. Ils sont aujourd’hui 440!"
Pour les cinq premiers mois de l’année, il a assuré une quinzaine de jours de réserve, en participant notamment à la formation de diplomates français qui vont travailler dans les zones de crise. Consultant comme référent sécurité d’un gros groupe du CAC 40, il a commencé sa vie de réserviste dans le groupement des Yvelines. "Nous étions 2 réservistes à l’époque. Ils sont aujourd’hui 440!"
"En fait, ajoute Emmanuel, la réserve a été pour moi le prolongement de ce j’avais fait comme gendarme auxiliaire en 1984." Pour lui, "être gendarme réserviste, c’est un état d’esprit, une adhésion à des valeurs et à des centres d’intérêt communs".
Un avis partagé par Edouard, 50 ans, colonel de la réserve citoyenne depuis 2007. Cet ingénieur civil à la Délégation générale de l’Armement (DGA), ancien officier de Marine, est le correspondant Réserve pour les entreprises franciliennes.
La Réserve citoyenne de défense et de sécurité (RCDS2) est "complémentaire de la réserve opérationnelle", explique Edouard. Recrutés sur titres et pour leurs compétences professionnelles, ils ne sont pas payés, mais défrayés.
Ils ne portent pas d’uniforme, seulement un insigne, et restent "une force pour la Gendarmerie". Issus de milieux souvent influents ils sont quelque 1.500. Des syndicats de policiers demandent régulièrement – en vain, pour le moment – que la liste de ces réservistes citoyens soit publiée.
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Un taux de fidélisation "important"
Tous les réservistes opérationnels interrogés par L’Essor mettent en avant leur "désir de servir la population et de se rendre utiles". Une volonté toujours intacte, qui permet à la Gendarmerie de disposer d’un vivier riche et disponible, avec un taux de fidélisation "important ", selon le commandement des réserves.
Mais les problèmes ne manquent pas, relève le capitaine de réserve Renaud Ramillon-Deffarges, président de la Fédération nationale des réservistes opérationnels et citoyens de la gendarmerie nationale (Anorgend). "Le budget des réserves fonctionne par à-coups", assure-t-il.
D’où la nécessité de "sanctuariser" ce budget. Une préoccupation partagée par les sénateurs. Les rapporteurs du budget 2021 de la Gendarmerie prônaient, fin 2020, de prévoir le financement de la montée en puissance de la réserve opérationnelle, "ont le rôle est reconnu par tous".
A cet égard, ils relevaient que le niveau d’emploi des réservistes avait atteint 6.000 à 7.000 réservistes par jour du fait du contexte sécuritaire. Or, remarquaient les sénateurs, les crédits stagnent à 70,7 millions d’euros en 2021 (montant identique à celui de 2020), alors qu’ils atteignaient près de 100 millions d’euros il y a deux ans.
Ils assuraient également que "ces crédits servent parfois de variable d’ajustement, d’où des à-coups budgétaires, et parfois un retard dans l’emploi des réservistes déjà recrutés". Avec pour conséquence le fait que certains réservistes, "qui ont vu entre-temps leur situation changer, ne sont plus disponibles lorsqu’il est fait appel à eux".
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Protection sociale insatisfaisante
Autre problème, selon Renaud Ramillon-Deffarges: la fidélisation des réservistes. A part l’instruction obligatoire pour le tir, la formation continue pour préparer les réservistes à exercer des responsabilités est insuffisante. Comme dans l’active, les réservistes peuvent avancer en grade.
Le président de l’Anorgend pointe du doigt la protection sociale pour les réservistes blessés en mission. Identique à celle des gendarmes d’active, sa mise en œuvre n’est pas satisfaisante. Renaud Ramillon-Deffarges ajoute enfin que le "taux d’attrition" (usure) est de près de 10 %.
Un paradoxe, alors que "la réserve opérationnelle reste un bon SAS d’entrée dans l’active". Des problèmes toujours pendants au moment où la question du passage à 40.000 ou 50.000 réservistes opérationnels est sur la table. Avec, en ligne de mire, l’encadrement du futur Service national universel (SNU), la Coupe du monde rugby (automne 2023) et les jeux Olympiques (été 2024) qui se dérouleront en France. Et qui consommeront beaucoup de réservistes.