Article publié dans le magazine de L'Essor N°524 (décembre 2018)
Entre familles de gendarmes, ils les surnomment parfois les favelas, du nom de ces bidonvilles brésiliens, ou encore « la cité malsaine ». Les anciens immeubles en meulière de la cité-jardin Delpal, construits en 1935, ne font plus recette depuis bien longtemps auprès des militaires du plateau de Satory. La raison ?
Ici cohabitent pêle-mêle les problèmes d’insalubrité, d’humidité, l’absence d’ascenseurs, des fenêtres à simple vitrage, des volets qui tiennent avec un bout de ficelle, une connexion Internet poussive qui bride le travail à domicile, ou des salles de bains inadaptées. Cette cité, qui compte plus de 400 appartements, est devenue le symbole du mal-logement des gendarmes en France.
Quand ils arrivent sur le plateau en 2006, Catherine et son mari, un gendarme mobile, ignorent tout des problèmes qui minent cet ensemble. Cette famille va avoir droit à un cours accéléré. Lorsque le couple ouvre la porte de son nouvel appartement, ils découvrent un logement souillé par des fientes de pigeons. Puis, leur nouveau voisin arrive et s’étonne de voir réattribué un logement inoccupé depuis plusieurs mois pour cause… d’insalubrité ! C’est la douche froide.
Base militaire
Près de 5 000 gendarmes et leur famille vivent à Satory. L’historique cité Delpal est située en face du Groupement blindé de la gendarmerie mobile. On a construit là des grands ensembles qui font de cette base militaire une ville dans la ville. Puis le temps a fait son œuvre. Et, faute d’un entretien suffisant, les familles ont dû s’accommoder d’une vétusté grandissante des logements.
Sans que les annonces répétées des gouvernements successifs ou les alertes des élus ne changent réellement la donne. Le ministre de l’Intérieur Claude Guéant annonce ainsi, en janvier 2012, la construction de 330 logements modernes destinés à remplacer ceux du quartier Delpal.
Six ans plus tard, les anciens appartements sont toujours là. Avec tous les désagréments que cela implique. « Notre baignoire était dans un tel état que nous avons eu une douche », se souvient, par exemple, Catherine. « Notre voisine avait, elle, une petite baignoire sabot. Mais, enceinte, elle ne pouvait plus rentrer dedans. Elle venait donc faire sa toilette chez nous. »
Un exemple pas isolé. A Delpal, il y a peu de douches. Le résultat, c’est « qu’il y a beaucoup de femmes enceintes qui galèrent », résume Catherine. Nad, elle, est arrivée en 2016 à Delpal avec son mari, également gendarme mobile. Les services compétents sont absents lors de l’état des lieux. « Ils n’ont pas osé : quand j’ai vu l’appartement, j’ai compris pourquoi ils n’étaient pas là », pointe la jeune femme.
L’hiver, ce couple de trentenaire est obligé d’ouvrir les fenêtres : les appareils de chauffage n’ont plus de thermostat, empêchant un contrôle fiable de la température. Une « horreur » pour la jeune femme sensible à l’écologie, et une source de souci : entre la vétusté et l’air sec, elle développe des allergies inquiétantes.
La dérision pour supporter
Ce quotidien difficile marque les familles et tend parfois les relations. On espère pouvoir quitter rapidement son logement et on s’interroge sur les conditions d’attribution. Entre voisins, on se questionne tout d’abord sur le logement habité. Quand les gendarmes sont plus proches, ils s’envoient des photos. Ce sera à qui a la pire salle de bains ou les murs les plus dégradés. « C’est tellement pathétique qu’on est obligés d’en rire », s’excuse Catherine.
Les habitants du plateau s’échangent également les bonnes adresses en matière de bricolage, les promotions en cours, ou les astuces pour réussir à réparer la fuite de son robinet. Chez Nad, les deux robinets de la salle de bains et de la cuisine fuient. Pire encore : dans ses sanitaires, un goutte-à-goutte nauséabond perle depuis la canalisation.
Catherine et son mari finiront par quitter Delpal en obtenant un nouvel appartement dans les ensembles Guichard 2. Ces immeubles plus récents ne sont cependant pas, eux non plus, exempts de problèmes : nids de frelons, salles de bains insalubres, sols amiantés ou ascenseurs régulièrement en panne rythment le quotidien. « Mon arrivée d’eau a cassé avant le compteur, cela déversait cinq litres d’eau à la minute, se souvient Catherine. Le temps que nous arrivions à faire quelque chose, la cuisine de nos voisins d’en dessous était morte. Et des histoires comme cela, il y en a tout le temps sur le plateau. »
Nad confirme. Elle a eu la chance de déménager rapidement dans l’ensemble Guichard 1. « C’est mieux, mais pas le top, souligne-t-elle. On a au moins pu obtenir un logement propre. »
L’inquiétant manque de crédits pour l’immobilier des gendarmes
Satory n'est pas un cas isolé
Si la vétusté de certains logements de Satory est extrêmement préoccupante, ce n’est malheureusement pas un cas isolé en France. La lettre anonyme envoyée cet été au commandement à propos des conditions de travail des gendarmes de la Garde républicaine de l’Hôtel de Matignon fait, par exemple, référence à des appartements, « parfois insalubres » de la caserne de Babylone, à Paris. « Le parc domanial est en souffrance, à la différence de celui des collectivités territoriales, qui est bien entretenu », s’était ainsi désolé, en février devant le Sénat, un gendarme membre du Conseil de la fonction militaire Gendarmerie (CFMG). « On a dû évacuer une partie de la caserne de Melun en raison d’éboulements. La Gendarmerie n’a pas les moyens d’entretenir ces logements : par conséquent, elle est contrainte de louer à l’extérieur, dans le civil. »
La presse locale se fait régulièrement l’écho de ces problèmes de mal-logement. En février 2017, des familles avaient ainsi dénoncé, dans le quotidien régional Le Progrès, les mauvaises conditions de vie dans les logements de la caserne de Neuville-sur-Saône (Rhône). Leur lot quotidien ? Des problèmes d’évacuation, de remontée des eaux usées, des dysfonctionnements de chauffage, d’électricité, avec des prises qui font des étincelles, ou des moisissures, avait énuméré ce journal.
A Neuville-sur-Saône – des travaux ont été effectués depuis – le thermomètre affichait 15° C dans les appartements en hiver. Un froid de canard qui avait également fait bondir, il y a quelques années, les familles de l’escadron de gendarmerie mobile installées à Gap, victimes d’une mauvaise isolation.
“Quand j’ai vu l’état de l’appartement, j’ai compris pourquoi les services compétents étaient absents pour l’état des lieux.”
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Une humidité préoccupante
De l’autre côté de la France, dans cette brigade du Sud-Ouest, on se bat aussi contre les moisissures. Ici, les familles attendent avec impatience la nouvelle année. La construction de leurs nouveaux logements est prévue pour 2019. Mais les travaux, envisagés depuis bien longtemps, ont tardé. Résultat : les appartements actuels ont bien trop vieilli. « A notre arrivée dans l’appartement, le papier peint se décollait et il y avait des traces de champignons, se souvient Marc, un sous-officier d’une trentaine d’années. Nous avons enlevé le papier peint, nettoyé les murs et repeint en blanc. » En un mois à peine, des traces de moisissures réapparaissent. Contre les murs de son logement gorgés d’eau, la lutte du militaire est vaine.
Un déshumidificateur permet bien de réduire le taux d’humidité, mais cela n’empêche malheureusement pas la fille du gendarme de tousser davantage qu’à l’accoutumée. Ses parents, eux, en ont ras le bol. « La hiérarchie fait ce qu’elle peut, admet Marc. Mais j’ai une dent contre les services compétents, les affaires immobilières. C’est leur travail de gérer ce parc immobilier. » Après tous ces tracas, il est décidé. En cas de nouvelle mutation dans un logement vétuste, il refusera, pour protéger sa famille. Et tant pis si ce refus lui cause des soucis auprès de sa hiérarchie : « C’est compliqué pour un jeune gendarme, mais pour celui qui n’est pas après la carotte, il faut refuser, estime-t-il. C’est inadmissible de loger des familles comme cela. »
« Si la caserne est un taudis, le statut nous permet certes d’y envoyer nos hommes, mais ces derniers en partent dès qu’ils le peuvent ; c’est du perdant-perdant », avait ainsi admis, en mars devant le Sénat, le général de corps d’armée Hervé Renaud, le directeur des personnels militaires.
Un constat devenu une réalité dans certaines casernes. « Les gens ne sont pas bien à Satory : nous sommes à Versailles et nous avons l’impression d’être dans un mauvais quartier », relève Nad.
Comme cette jeune femme et Marc, Catherine est elle aussi révoltée. Elle demande simplement « l’application des normes civiles pour les logements des militaires ». Nad, elle, suggère de faire un grand état des lieux pour avoir une vision fine de l’étendue des dégâts.
Toutes deux ne sont pas convaincues par les nouveaux travaux qui seront engagés en 2019.
Victimes du sous-investissement chronique de l’Etat pour son patrimoine domanial, les familles ne veulent plus payer les pots cassés. Mais quand seront-elles enfin entendues ? L’ancien député (SRC) de la Haute-Vienne, Daniel Boisserie, avait déjà tiré la sonnette d’alarme. « Il y a bien urgence immobilière » écrivait-il en… 2012.