Après un cycle de conférences porté logiquement sur l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris et ses défis sécuritaires, lors de la précédente édition, en 2023, la 24e édition du salon Milipol met l’accent sur l’intelligence artificielle (IA) appliquée à la sécurité intérieure. Une thématique ô combien d’actualité, et qui évolue à grande vitesse.
Cette année, les organisateurs du salon ont sollicité Sébastien Aguilar pour concevoir le programme du cycle de conférences. Policier scientifique et auteur d’ouvrages sur la police scientifique et l’enquête criminelle, Sébastien Aguilar est également président-fondateur de la société Forenseek, qui vise à fédérer la communauté des professionnels de la forensique et proposer des formations pour se préparer aux concours de la profession. Quelques jours avant l’ouverture du salon, il a accepté de répondre aux questions de L’Essor au sujet du programme des conférences, divisé en six demi-journées, qui promet d’être particulièrement riche.
L’Essor : Pouvez-vous nous présenter, dans les grandes lignes, le programme des conférences de cette nouvelle édition du salon Milipol et nous dire comment vous l’avez conçu et construit ?
Sébastien Aguilar : Nous voulions offrir un espace d’échanges exigeant, ouvert et utile. Nous avons donc conçu un programme qui aborde sans filtre les sujets complexes de la sécurité intérieure en croisant l’expérience de terrain, l’innovation technologique et le cadre réglementaire.
La thématique générale « Sécurité intérieure et intelligence artificielle » irrigue l’ensemble, avec des thèmes comme la criminalité organisée, les investigations numériques, les cold cases, la coopération internationale, les sciences forensiques et l’identification des victimes de catastrophes. Les formats alternent keynotes, tables rondes, retours d’expérience et démonstrations.
« Notre ambition est de faire dialoguer forces de sécurité, magistrats, chercheurs, industriels et institutions européennes et internationales »
Mardi 18 novembre 2025 en seconde partie de journée, l’ouverture « IA et sécurité intérieure » abordera à la fois la gouvernance et l’encadrement de l’intelligence artificielle avec l’AI Act, le rôle de l’AI Office de la Commission européenne et de la Cnil, ainsi que les partenariats et les financements pour l’innovation au service de la sécurité intérieure avec la DEPSA, France 2030, Horizon Europe et la Banque européenne d’investissement.
Mercredi 19 novembre, la matinée sera consacrée aux innovations forensiques et à l’émergence de nouvelles menaces à l’ère de l’IA, l’après-midi aux cold cases. Jeudi 20 novembre mettra l’accent sur la criminalité organisée et l’analyse de données. Enfin, vendredi 21 novembre proposera un focus sur l’identification des victimes de catastrophes. Ce cheminement progressif permet de passer de la vision stratégique aux méthodes concrètes puis aux retours d’expérience du terrain.
L’IA, les technologies numériques et le cyber semblent être le fil rouge des conférences cette année. En quoi sont-ils au cœur des enjeux pour les forces de sécurité intérieure et de défense ?
On ne parle plus d’avenir mais de présent. L’intelligence artificielle et les technologies numériques sont déjà au cœur des services, des enquêtes et des laboratoires. Elles accélèrent les analyses, révèlent des signaux faibles jusqu’ici invisibles et permettent de croiser à grande échelle des données auparavant dispersées. Face à ce volume d’informations, il devient indispensable de disposer d’outils capables de trier, d’analyser et de relier efficacement ces éléments utiles à l’enquête dans des délais souvent très contraints.
Ces algorithmes doivent toutefois être encadrés. Leur puissance soulève des questions éthiques et juridiques qui touchent à la qualité et à la traçabilité des données, à l’explicabilité des modèles, à la maîtrise des biais, à la gouvernance et à la supervision humaine. C’est précisément pour cette raison que nous ouvrons le débat et que nous réunissons les bonnes compétences autour de la table. L’objectif est de montrer ce que l’IA change dès maintenant tout en identifiant clairement les points de vigilance afin de garantir des usages responsables au service de la sécurité intérieure.
… et plus spécifiquement en matière criminelle, en lien avec votre spécialité, la forensique ?
La science forensique connaît une transformation en profondeur. Nous pouvons aujourd’hui établir un profil génétique en environ 90 minutes, notamment grâce au système RapidHIT mis en œuvre par l’IRCGN, reconstituer une scène de crime en trois dimensions et analyser des traces numériques à une échelle inimaginable il y a à peine dix ans. Le mercredi 19 novembre au matin, nous accueillerons la Home Team Science and Technology Agency (HTX) de Singapour pour un panorama des usages de l’intelligence artificielle dans les sciences forensiques, puis une séquence d’innovations consacrée à la scène de crime. Interviendront notamment l’adjudant-chef Yohan Gérard de la brigade fluviale de Conflans-Sainte-Honorine sur la photogrammétrie subaquatique et la professeure Silke Grabherr du Centre universitaire romand de médecine légale sur l’articulation entre numérisation tri-dimensionnelle d’une scène et imagerie forensique effectuée sur une victime.
L’après-midi sera dédiée aux cold cases avec une mise à l’honneur du Pôle national des crimes sériels et non élucidés (PCSNE) de Nanterre, des retours d’expérience sur la généalogie forensique, le rôle du conseiller forensique et les apports de l’intelligence artificielle pour extraire des informations jusque-là inexploitées des archives judiciaires. L’intelligence artificielle bouleverse les enquêtes mais elle exige aussi un cadre clair, de la formation et une intégration méthodique sur le terrain. D’où notre choix d’en faire un débat collectif réunissant magistrats, experts forensiques, data scientists, enquêteurs et industriels.
Quel sera votre rôle lors de ces conférences ?
Je pilote le cycle en lien étroit avec Comexposium, organisateur officiel, et la direction de Civipol. Ma mission consiste à structurer les sujets, à bâtir le contenu, à coordonner les intervenants et à veiller en permanence à l’alignement avec les besoins opérationnels et les exigences du cadre réglementaire.
Je prendrai également la parole lors d’une keynote consacrée à l’avenir des investigations forensiques sur le terrain, en lien avec un projet que je conduis au sein de Forenseek. En parallèle, nous proposerons une démonstration immersive intitulée « Crime Scene in Action ». L’objectif est de plonger les visiteurs au cœur d’une scène de crime numérique grâce à un dispositif réaliste qui favorise des échanges concrets sur l’intervention de demain, notamment avec la réalité mixte, la réalité augmentée et l’assistance embarquée.
L’IRCGN présentera également son jumeau numérique « Janus » dans l’Innov’Arena, Hall 4, le vendredi 21 novembre à 11h. Cet outil permet de revisiter virtuellement une scène afin de confronter hypothèses, éléments matériels et témoignages. Cette approche par la réalité virtuelle, mixte ou augmentée, constitue à mon sens un levier puissant pour l’analyse scientifique et pour la formation dans le champ du forensique.
Qui sont les experts et intervenants qui participeront à ces conférences ?
Nous avons voulu une programmation à la fois pointue et représentative. Seront présents des magistrats, des responsables d’agences internationales telles qu’Europol, Interpol, l’AI Office et l’ICMP, mais aussi des chercheurs, des industriels et des experts étrangers venant des Pays-Bas, du Royaume-Uni, d’Ukraine, de Suisse, de Belgique, d’Espagne et de Singapour. Les forces de sécurité intérieure seront au rendez-vous avec la Police nationale, les Douanes et, bien entendu, la Gendarmerie nationale.
L’IRCGN interviendra sur plusieurs thèmes, parmi lesquels la généalogie forensique, les systèmes électroniques embarqués des véhicules, le profilage de stupéfiants et l’identification des victimes de catastrophes. L’Unité nationale cyber (UNC) participera aux tables rondes du jeudi 20 novembre consacrées aux investigations sur le Dark Web, au narcotrafic et à l’analyse des flux financiers criminels. Elle échangera aux côtés de l’Office anticriminalité, de l’Ofast, de la SDLCF, de la DNRED, d’Europol, de la Junalco et de la Police nationale espagnole.
Cette diversité d’acteurs illustre l’esprit du cycle, qui vise à faire dialoguer et coordonner les expertises afin de partager des méthodes réellement transférables sur le terrain.
Propos recueillis par Loïc Picard
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Plus d’infos avec le programme détaillé des conférences de la 24e édition de Milipol










