La Cour des comptes a publié, jeudi 4 janvier 2023, un rapport consacré à la politique de lutte contre l'immigration irrégulière, et notamment aux moyens mis en œuvre et aux résultats obtenus au regard des objectifs que se fixe l'État. Trois grands volets de cette politique ont été passés au crible par les sages de la rue Cambon: la surveillance des frontières, la gestion administrative des étrangers en situation irrégulière sur le territoire national et l'organisation de leur retour dans leur pays d'origine.
Sur la surveillance des frontières tout d'abord, les magistrats pointent une "efficacité incertaine" face à "une pression croissante depuis 2015". Deux administrations, la Police aux frontières (PAF) et les Douanes, sont particulièrement pointées du doigt. A elles deux, elles se partagent en effet la tenue de 126 points d'entrée dans l'espace Schengen en provenance des pays tiers. Et depuis 2015, elles sont aussi fortement mobilisées par le contrôle des frontières avec les autres pays de l'espace Schengen dans le cadre du rétablissement du contrôle des frontières intérieures. Ce dernier, censé être temporaire, "dure depuis huit ans et présente une efficacité limitée", bien qu'il permette "d’accroître les prérogatives de contrôle et de surveillance des frontières". On apprend ainsi qu'entre 2018 et 2022, près de 240.000 refus d’entrée sur le territoire français ont été prononcés par les gardes-frontières. Malgré cela, "le nombre global d’entrées irrégulières sur le territoire national s’accroît depuis 2015", rapportent les magistrats.
Afin d'améliorer la surveillance des frontières, la Cour des comptes recommande ainsi d'aligner les pouvoirs d'inspection de la Police aux frontières avec ceux des Douanes, de revoir l'attribution des points de passage frontalier entre ces deux administrations et de recueillir et conserver l'identité des personnes interpellées à la frontière.
Une mission qui impacte aussi les gendarmes
Outre ces deux administrations, la lutte contre l'immigration irrégulière est aussi une mission qui incombe aux gendarmes et aux policiers. Les magistrats de la Cour des comptes reconnaissent d'ailleurs que le contrôle frontalier, "très consommateur en moyens humains et matériels pour les gardes-frontières", "repose en grande partie sur le renfort d’unités de forces mobiles". Comme leurs camarades des compagnies républicaines de sécurité (CRS), les militaires de l'Arme, à commencer par les gendarmes mobiles, sont en effet régulièrement mobilisés sur cette problématique, à travers différentes missions. Ils sont ainsi déployés, aux côtés des autres administrations concourantes, aux points d'entrée stratégiques et sensibles du pays, comme aux frontières franco-italienne dans les Alpes-Maritimes, ou franco-espagnole dans les Pyrénées où la pression migratoire est permanente. Toutefois, notent les sages, leur participation reste "aléatoire" est soumise aux "autres besoins nationaux".
Autres points très consommateurs en ressources, avec notamment la mobilisation de gendarmes mobiles et le renfort de réservistes opérationnels de la Gendarmerie : la surveillance du littoral nord de la France, pour empêcher les départs vers l'Angleterre, lutter contre les réseaux de passeurs et signaler toute mise à l'eau pour organiser des missions de sauvetage. Une présence permanente qui porte également sur la sécurisation des zones où sont installés des camps de migrants en attente de traversée de la Manche et leur impacts sur la vie locale avec une inévitable hausse des incivilités, vols, violences et dégradations. Toutefois, cette mission a peut-être été volontairement mise de côté par les Sages de la rue Cambon car, si elle sollicite un nombre important de personnels d'active et de réserve de la Gendarmerie, une partie de son coût est pris en charge par le Royaume-Uni sous forme de subventions à la France dans le cadre d'accords bi-nationaux de protection des frontières.
L'organisation des expulsions dans le viseur des magistrats
Autre point majeur de la politique de lutte contre l'immigration dans le viseur des magistrats de la Cour des comptes, l'expulsion des étrangers sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français (OQTF), dont la France ne parvient à expulser qu'une "petite minorité", environ un sur dix. Un domaine ultra-sensible dans lequel l'État doit "mieux s'organiser", estime les rapporteurs de la Cour des comptes. Ils jugent que l'administration gagnerait à recalibrer une stratégie, pour l'heure "inefficace", qui repose surtout sur la délivrance massive d'OQTF.
En 2022, 153.042 mesures d'éloignement ont été prononcées, dont 134.280 OQTF. La même année, la France a expulsé 11.406 personnes, dont 7.214 "éloignements forcés". "Ce découplage entre le nombre de mesures d'éloignement prononcées et leur exécution effective démontre les difficultés de l'État à faire appliquer, y compris sous la contrainte, ses décisions particulièrement nombreuses", a observé la Cour des comptes, soulignant que "seule une petite minorité – autour de 10% – des OQTF sont exécutées".
"Le taux d'exécution des OQTF est très faible", a commenté jeudi lors d'une conférence de presse le premier président de la Cour, Pierre Moscovici. En la matière, "l'État peut mieux s'organiser", notamment en centralisant les demandes de laissez-passer consulaires nécessaires aux expulsions, a-t-il abondé, en détaillant une politique de lutte contre l'immigration irrégulière globalement "déficiente" au regard des "moyens importants qui lui sont alloués", 1,8 milliard d'euros annuel.
Priorité donnée à l'expulsion des condamnés et des menaces
Depuis l'été 2022 – et une circulaire envoyée par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin aux préfets – les autorités concentrent leurs efforts en matière d'expulsions sur les profils présentant une menace à l'ordre public ou ayant été condamnés pénalement. Une "priorisation pertinente", estiment les auteurs du rapport.
Selon les données compilées par la Cour des comptes, ce virage correspond à une tendance lourde sur les années 2019-2022: lorsqu'une procédure d'expulsion est enclenchée au motif d'une menace à l'ordre public, elle est exécutée dans 23% des cas, 45% lorsque c'est en raison d'une condamnation pénale. A l'inverse, une OQTF délivrée à un débouté de l'asile ou après un refus de titre de séjour ne se conclut que dans 2% des cas par une expulsion. Résultat: mi-décembre 2022, 91% des personnes enfermées en centre de rétention administrative (CRA) l'étaient en raison de troubles à l'ordre public ou pour radicalisation, contre 44% mi-août 2022.
Dans la foulée de la publication du rapport de la Cour des comptes – qui paraît deux semaines après l'adoption d'un projet de loi sur l'immigration, que le Conseil constitutionnel doit encore valider et dont le ministre de l'Intérieur assure qu'il doit surtout permettre d'expulser plus efficacement les étrangers "délinquants" – le ministère de l'Intérieur a anno
ncé une hausse de 30% sur un an des expulsions d'"étrangers délinquants", avec 4.686 personnes expulsées en 2023 contre 3.615 en 2022.
100% d'expulsions ? Un "fantasme"
Grâce à sa loi, le gouvernement veut réduire de douze à quatre le nombre de recours pour contester les procédures d'expulsion et lever plusieurs protections accordées à certaines catégories de personnes, par exemple les étrangers arrivés en France avant 13 ans. Mais plusieurs autres "obstacles expliquent ce faible taux" d'expulsion, énumère la Cour des comptes. D'abord, de nombreux pays d'origine rechignent à délivrer des laissez-passer consulaires, sésames diplomatiques pour l'expulsion. A cet égard, les auteurs recommandent de "centraliser la procédure de demande de laissez-passer consulaire, sauf exception, pour améliorer les relations avec les consulats et le taux de succès des demandes".
Ensuite, l'administration peine à démontrer l'identité des personnes qu'elle cherche à expulser, dans "20 à 30%" des procédures. Enfin, le très grand nombre de procédures enclenchées "engorge les préfectures" qui "délivrent parfois des OQTF à des personnes insérées dans la société" ou "qui ne peuvent pas être éloignées", par exemple des ressortissants de pays en guerre. "L'Etat peut mieux s'organiser", résume donc la Cour.
En revanche, l'objectif fixé par la président de la République, Emmanuel Macron, d'exécuter 100% des OQTF paraît "fantasmatique", selon Pierre Moscovici. Avec la priorité donnée à l'expulsion des "délinquants", "l'aide au retour volontaire peut être l'une des réponses" pour les autres personnes en situation irrégulière, avance par ailleurs la Cour, qui préconise "d'assouplir" ce dispositif visant à encourager un départ par le versement d'une somme allant jusqu'à 2.500 euros. En la matière, avec 4.900 "retours aidés" en 2022, "la France accuse un retard notable" sur ses voisins. Un calcul également financier: l'aide au retour volontaire coûte moins cher qu'une expulsion manu militari (en moyenne 4.414 euros, selon la Cour), pour une politique de lutte contre l'immigration irrégulière évaluée à 1,8 milliard d'euros.
(Rédaction de L'Essor, avec l'AFP)
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