<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Les équipiers du G.I.G.N. face à la mort et à la blessure

Photo : Ce 1er septembre 2008, le détenu Florent Bianchi prend en otage Viviel L., l'un des psychologues du centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis. Un huis-clos étouffant, auquel le GIGN doit mettre un terme.

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Les équipiers du G.I.G.N. face à la mort et à la blessure

par | Les équipiers du G.I.G.N. face à la mort et à la blessure, Société

Par Gabriel Thierry – DESSINS ZZIIGG

Ce lundi matin, Vivien L., l’un des psychologues du centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis, enchaîne les entretiens. A 11 heures, ce 1er septembre 2008, il a rendez-vous avec Florent Bianchi, un détenu d’une trentaine d’années condamné à quinze ans de prison pour viol avec arme. Trente minutes plus tard, les deux hommes sortent du bureau. Le détenu se retourne. « Il m’a dit :  “Je peux pas rentrer en cellule, je vais péter les plombs”. Il m’a saisi à la gorge : “Je vous prends en otage ” », raconte Vivien à Libération.

Le quinquagénaire va passer les onze heures suivantes avec un morceau de verre brisé appuyé sur la gorge.

A Satory, près de Versailles, au siège du GIGN, le groupe d’intervention de la Gendarmerie, Philippe B. est à la salle de boxe. Ce membre de l’unité fait partie de la section 2, celle qui est en alerte pour cette semaine. Comme il le raconte dans son livre, GIGN : confessions d’un ops (Ed. Nimrod), le gendarme est en route vers le mess quand les haut-parleurs grésillent.

Le GIGN vient d’être appelé pour la prise d’otage. Un peu avant 13 heures, les militaires arrivent au centre pénitentiaire de Fleury-Mérogis, la plus grande prison d’Europe, à une quarantaine de kilomètres de Satory.

Philippe B. a un mauvais pressentiment.

Le preneur d’otage semble très déterminé. « Cette affaire va finir dans le sang, quelque chose se goupille mal », se dit-il. Vivien racontera plus tard que Florent Bianchi n’a pas desserré son étreinte pendant onze heures. Avec sa « griffe », il peut l’égorger « comme un cochon, d’une oreille à l’autre », a-t-il menacé.

Le psychologue doit manger un sandwich ou uriner contre le mur dans les bras du détenu. « Je tiendrai pas dix ans avec du moisi jusqu’aux genoux, des pigeons qui chient partout », s’énerve le preneur d’otage.

Vers 17 heures, une rumeur court à travers la prison. Le GIGN est sur place. Sur la coursive, Florent Bianchi reste imperturbable.

Il annonce froidement au téléphone à sa mère : « Il faut que je tue. »

La prise d’otage s’éternise. Les gendarmes du GIGN révisent leurs prises de combat pour désarmer d’un coup le preneur d’otage. Mais les prisonniers, furieux de ne pas avoir reçu leur repas du soir, viennent d’ouvrir en grand leurs robinets. L’eau dégouline sur les coursives, « c’est mort », il faut changer de plan, constate Philippe B., amer. Florent Bianchi, le détenu, exige dans la demi-heure une voiture pour s’enfuir. Il menace : « Je vais l’égorger, et ensuite, je poserai ma lame et je me rendrai. Comme ça, à la prochaine prise d’otage, vous me prendrez au sérieux. »

Il faut intervenir au plus vite. C’est Philippe B. qui est chargé de faire le tir. Il doit toucher la tête pour entraîner une mort immédiate et sauver ainsi la vie de Vivien.

C'était la première intervention de Thierry Prungnaud. Ce harki de plus de 70 ans, qui vit dans les Vosges, ne veut plus payer ses factures. Il vient de tuer son voisins et une autre personne dans une station-service.

« S’engager pour la vie »

« Sauver des vies au mépris de la sienne. » Telle était, à sa création en 1974, la devise du groupe qui fête ses 50 ans. Il y a seize ans, elle a été raccourcie en un « S’engager pour la vie. »

Les gendarmes de l’unité le savent : ils vont côtoyer de près la mort au cours de leurs missions. Mais la devise a un double sens : S’engager pour la vie vaut aussi pour celle des forcenés, des preneurs d’otages, ou de toute personne qui pourrait avoir à rendre des comptes à la justice, dont l’unité est une sorte de bras armé.

Il y a dix ans, l’unité avait 1600 opérations au compteur, soit 1500 interpellations, la libération de 625 otages et la maîtrise de 260 forcenés. Le GIGN ne donne plus de chiffres actualisés de ce type.

Les interventions les plus célèbres sont bien connues : la prise d’otages du vol Air France 8 969, reliant Alger à Paris, par quatre membres du Groupe islamique armé (GIA), en décembre 1994, qui vaudra au groupe une renommée mondiale ; le tir simultané à Loyada (Djibouti) pour sauver des enfants pris en otage en 1976 ; ou encore la traque des frères Kouachi, les terroristes qui ont pris pour cible l’hebdomadaire Charlie Hebdo, en 2015.

Dès la création du GIGN, un mot est banni au sein de l’unité : celui d’ennemi. Les gendarmes préfèrent parler d’adversaire. « J’ai imposé aux sous-officiers, dès le premier jour de leur formation, le 3 novembre 1973, la notion du respect de la vie », raconte le premier patron du GIGN, Christian Prouteau, dans le livre du journaliste de L’Essor Pierre-Marie Giraud, Le GIGN par ceux qui l’ont commandé (Mareuil éditions). « Il faut pouvoir envisager toutes les solutions avant d’en arriver à l’inéluctable, poursuit-il. Supprimer la vie, c’est le pouvoir de Dieu. Donner la mort, quand on a épuisé toutes les possibilités, cela doit rester exceptionnel. »

A ses hommes, il rappelle : la France est un pays démocratique. Dans un Etat totalitaire, pas besoin de GIGN : une exécution pourrait suivre l’échec d’une négociation.

« La mort, nous la côtoyions aussi quand nous la donnions », racontait également Daniel Cerdan, un ancien sous-officier du GIGN, dans son livre Engagé pour la vie (Ed. Alisio).

« Peu de gens savent à quel point nous n’exerçons cette violence ultime qu’avec scrupule, discernement, à regret, malgré une totale détermination… et uniquement sur ordre, en dernier recours. Nous avons toujours tout tenté, tout fait, pour préserver la vie, pour, comme nous le disions, “avoir les gens vivants”. »

Même rappel de Roland Môntins, resté treize ans au sein du groupe. « Le but du GIGN est de délivrer les otages et de remettre leurs agresseurs à la Justice », rappelle-t-il dans son livre, GIGN  : 40 ans d’actions extraordinaires. « L’emploi du feu est destiné à “neutraliser”, non à tuer. En certaines circonstances, un tir peut provoquer la mort, mais cela doit rester très exceptionnel. La préparation consiste à donner aux tireurs une précision redoutable, quelles que soient les conditions du tir et les armes utilisées. »

« Le tir est possible »

Ce 1er septembre 2008, à Fleury-Mérogis, les gendarmes du GIGN ont toujours en tête ce mot d’ordre, « avoir les gens vivants ». Mais l’éventail des options paraît alors bien limité. La coursive est inondée, rendant incertaine une intervention à mains nues.

La ministre de la Justice, Rachida Dati, s’est également invitée dans la gestion de crise. « Surtout pas de coup de feu, pas de mort », avertit-elle. « A vous de voir ce qu’il est possible de faire », résume à ses troupes Denis Favier, le patron de l’unité, selon le récit de Philippe B. Les deux gendarmes désignés pour l’intervention, Jean-Luc et Philippe B., se déguisent en surveillants. Ils poussent un chariot pour distribuer des repas aux détenus de la coursive.

Cela leur permet un premier tour d’observation. Philippe B cache sa main comme s’il tenait une arme. Aucune réaction de la part des détenus. « Pour moi, le tir est possible », analyse-t-il. Un argumentaire convaincant pour ses chefs.

Le tir est finalement autorisé, mais à une condition : ce sera un tir à l’épaule. Philippe B. proteste : il n’a pas l’épaule en visuel, c’est la tête qu’il peut avoir. « Ce tir va à l’encontre de l’éthique du groupe, qui consiste à préserver des vies au péril de la sienne, résume-t-il dans son livre. Mais il faut pourtant bien que quelqu’un s’acquitte de la mission !

Ce n’est peut-être pas un terroriste et il n’a encore tué personne, mais c’est bien lui qui nous mène tous dans cette impasse. »

Vers 22 h 45, les gendarmes déguisés en surveillants reviennent avec leur chariot repas. Philippe B. s’est fixé deux seuils. A 20 mètres, il tirera dans la tête avec son Glock 19. S’il peut s’approcher à moins de 10 mètres, il tentera de toucher au cou, à 3 centimètres seulement au-dessus de la tête de l’otage, une façon d’épargner la vie du détenu. « Impossible », lui a répondu le médecin du groupe, incrédule.

Les gendarmes s’engagent dans la coursive.

Ils sont à 25 mètres de Florent Bianchi. Vivien, l’otage, a bien remarqué qu’il se passait un truc bizarre : il n’y a presque pas de nourriture sur le chariot, et ils avancent tout doucement.

Pas après pas, la distance s’amenuise.

A 5 mètres, l’un des gendarmes fait tomber sa louche par terre. Philippe B. bondit pour se décaler, arme son bras et tire dans le cou.

Le détenu n’a pas le temps d’utiliser son arme, et l’otage est aussitôt exfiltré. Un gendarme bloque l’hémorragie avec ses doigts. Comme l’avait prédit le médecin du groupe, si le tir n’a pas tué Florent Bianchi, il l’a rendu tétraplégique.

Il meurt finalement en mars 2009, plusieurs mois plus tard, d’une embolie pulmonaire.

Grièvement blessé lors de l'assaut de l'Airbus A300 stationné à Marignane, Thierry Prungnaud est secouru par ses coéquipiers. "L'opération idéale" dira-t-il malgré tout plus tard : les 173 otages ont été sauf."

 « J’ai pris énormément de risques »

Cette histoire dramatique est l’une des innombrables affaires vécues par les gendarmes du GIGN. Par définition, ces face-à-face peuvent être tragiques. «En tirant dans le cou, j’ai pris énormément de risques pour la vie de l’otage, a admis plus tard Philippe B dans une interview. Il faut savoir que le preneur d’otages était prêt. C’est presque à se demander si ce n’était pas ce qu’on appelle un suicide by cop », cette façon d’agir délibérément de manière menaçante face à des policiers pour provoquer un tir, dans le but d’en mourir.

De retour à Satory, les gendarmes du GIGN boivent une bière pour décompresser. Puis Philippe B. appelle son parrain dans l’unité, Thierry Prungnaud.

Cette figure du GIGN a elle aussi eu plusieurs rendez-vous avec la mort. « Je me souviendrai toujours de ma première intervention, c’était un forcené harki dans les Vosges », raconte Thierry Prungnaud dans un podcast de février 2023 produit par l’association Vétérans de France. Ce forcené, âgé de plus de 70 ans, ancien harki et tireur d’élite dans l’armée, ne veut pas payer ses factures de gaz et d’électricité, soit environ 500 francs.

Il vient de tuer son voisin, ainsi qu’un client dans une station-service.

Le patron de l’opération, Paul Barril, capitaine au GIGN arrive. « Qui a fait le meilleur tir aujourd’hui ? », demande-t-il. Les regards se tournent vers Thierry Prungnaud : il vient d’être désigné tireur d’élite. Le gendarme s’installe derrière son fusil. Il va désormais patienter 17heures avant d’ouvrir le feu.

Daniel Cerdan, un autre équipier du GIGN, était présent. Il résume : « Le vieux harki tire des balles à ailettes avec son fusil à deux coups, qu’il ne laisse jamais vide, en rechargeant dès qu’il a tiré un coup ». Quand les hommes du GIGN installent une lampe pour éclairer la maison, le harki la fait sauter d’un tir précis. « L’homme est malin, décidé à en finir en mourant comme un combattant. Il ne négociera pas ». Le forcené est d’autant plus aux aguets qu’il entend, depuis sa maison, les radios des gendarmes grésiller. Il peut donc anticiper leurs mouvements.

Deux gendarmes avaient réussi à entrer dans le couloir de la maison. Au matin, Paul Barril leur demande par radio de contrôler une nouvelle pièce.

« J’ai vu le forcené changer de place et mettre en joue les copains pour leur tirer dessus, raconte Thierry Prungnaud. Et là, je n’ai pas hésité, je l’ai neutralisé. C’était ma première intervention et cela m’a bien marqué, et encore aujourd’hui. »

Les gendarmes retrouvent le forcené gisant au sol, mort. Il est vêtu d’un costume et porte un masque à gaz. Des restes de billets de banque jonchent le sol. L’homme a brûlé ses économies. « Les hommes du GIGN, dans ces moments-là, éprouvent à la fois le sentiment du devoir accompli, le regret de n’avoir pu appréhender la personne vivante, la douleur devant la perte d’une vie humaine, et un goût d’échec face à la solitude qui s’est terminée en tragédie », regrette Daniel Cerdan.

Marignane. À 17h12, l’assaut est lancé

Mais Thierry Prungnaud est surtout célèbre pour son rôle à Marignane. Une intervention qui est avant tout une affaire d’équipe, mais où son rôle a été décisif, au prix de très graves blessures.

La prise d’otages avait débuté à Alger, le 24 décembre 1994. A la fin de l’embarquement, quatre terroristes avaient pris le contrôle de l’Airbus A300 et de ses 239 passagers et membres d’équipage. Après avoir tué trois personnes et libéré des dizaines d’otages, ils décollent, le 26 décembre, pour atterrir à Marignane, l’aéroport de Marseille.

Les gendarmes du GIGN préparent leur intervention.

A 17 h 12, Denis Favier, le patron du groupe, lance l’assaut. Trois colonnes de gendarmes juchés sur des passerelles mobiles foncent vers les trois entrées de l’appareil. Des tireurs d’élite les couvrent. A la tête de l’un des groupes, Thierry Prungnaud. L’adjudant-chef s’engouffre le premier dans l’avion par la porte avant droite, en direction du poste de pilotage où sont retranchés les quatre membres du commando, avec les deux pilotes et le mécanicien.

Il se retrouve face à un premier terroriste en chemise blanche, armé d’un pistolet-mitrailleur Uzi. Il le neutralise avant d’apercevoir un deuxième terroriste, habillé en steward, qui lui tire dessus. Thierry Prungnaud riposte et le touche mortellement. Puis il blesse le troisième terroriste. Mais le quatrième l’a aperçu.

Il s’ensuit un déluge de balles. Thierry Prungnaud est touché à sept reprises.

« La dernière, je la prends dans la joue, avait-il expliqué à L’Essor. C’est celle qui me sauve la vie, car elle me fait reculer du cockpit. »

A terre, il ne peut plus rien faire. Une grenade explose à 80 centimètres de lui, il reçoit des éclats dans les fesses. « Cela m’a paru très, très, long », se souvenait-il. Et pour cause : il y a eu 20 minutes de fusillade intense et 1 500 balles tirées. Des neuf gendarmes blessés, Thierry Prungnaud est le plus grièvement touché.

Il craint une amputation du bras droit. Après trois mois à l’hôpital, dix-neuf anesthésies générales et un arrêt cardiaque sur la table d’opération, il est tiré d’affaire.

Le bilan de l’assaut est un succès inespéré.

Les quatre terroristes sont morts et les 173 otages sont saufs. « L’opération idéale », commente Thierry Prungnaud.

Comme le raconte Pierre-Marie Giraud, Denis Favier se souvient… Après la fin de l’opération, une vingtaine de militaires se rassemblent sous l’avion. « Les gendarmes sortent du choc. Ils ont tout donné. Certains l’ont payé cher. On n’a pas le sentiment d’avoir fait un gros coup, mais celui d’avoir fait quelque chose en dehors des normes. » Denis Favier ajoute : « Il n’y a jamais eu d’euphorie. » Le patron du groupe monte sur une caisse dans le hangar, pour « leur dire clairement que nous venons de connaître quelque chose d’énorme ». Aujourd’hui, cette intervention reste la plus importante libération d’otages jamais réalisée à bord d’un avion.

En 2017, les gendarmes de l'antenne GIGN de Tours font face à Angelo Garand, agé de 37 ans. Ce père de trois enfants était en cavale.

« On les attrape à la main »

Les terroristes sont la raison d’être du GIGN.

La création de l’unité fait suite à la tragédie des Jeux olympiques de Munich, en 1972, qui a démontré le besoin crucial d’une unité spécialisée. Après l’intervention de la police allemande, mal préparée à ce genre d’opération, la prise d’otage d’athlètes israéliens par un commando palestinien s’était soldée par 17 morts. Un désastre.

Le groupe d’élite est intervenu lors d’autres prises d’otages. Les opérations les plus connues du GIGN se sont déroulées à Loyada (Djibouti) en 1976, et à Ouvéa (Nouvelle-Calédonie) en 1988. Une grande partie des opérations du groupe, également chargé de missions contre la criminalité organisée, concerne des forcenés.

Une menace qui n’est pas moins importante pour les gendarmes chargés de l’opération : « Le forcené est une personne dangereuse, mais momentanément égarée », expliquait à Pierre-Marie Giraud, Thierry Orosco, patron du GIGN de 2011 à 2014. « Ce sont des gens qui ont soit des problèmes mentaux, soit de très graves problèmes sociaux. Ils sont dans une immense détresse sociale, qui peut les amener à tuer un voisin, un policier ou un gendarme. Mais ce ne sont pas des délinquants de métier. On disait souvent, au GIGN, qu’on les attrapait à la main car il n’était pas question de les neutraliser avec des armes à feu. » Pas facile.

Un jour, à Bordeaux, Daniel Cerdan s’est retrouvé dans cette situation. Le GIGN vient d’être appelé. Un homme a été tué dans une voiture, de cinq balles dans la tête. C’est visiblement un règlement de comptes.

Le suspect est localisé chez sa petite amie. Agressif, il assure être armé d’un pistolet et d’une grenade défensive déjà dégoupillée.

« Il se dit prêt à tout faire sauter », raconte Daniel Cerdan qui a engagé la conversation derrière la porte du suspect.

Il se présente, lui parle du GIGN. L’échange se poursuit. « Je lui parle comme à un ami, lui dis qu’il ne va quand même pas faire la connerie de lâcher la grenade et toucher sa petite amie et l’enfant, qui sont avec lui ». Il a alors une idée. Il enlève son écusson d’épaule et le passe sous le palier. C’est le déclic. La serrure tourne, la porte s’ouvre. Le gendarme saisit les mains du forcené en gardant la cuillère de la grenade bien serrée. L’homme est interpellé sans violence. « Sans ce dialogue de confiance, simplement humain, qui s’était noué entre lui et moi, qui sait comment cette situation dramatique se serait achevée ? », se demande Daniel Cerdan.

« Il ne méritait pas de mourir »

Toutes les interventions du Groupe ne se terminent malheureusement pas aussi bien.

En mars 2017, des gendarmes de l’antenne GIGN de Tours sont appelés à la rescousse. Angelo Garand, 37 ans, est en cavale. Ce père de trois enfants n’est pas rentré à la prison de Vivonne, près de Poitiers, après une permission de sortie. Il avait été condamné à une peine de 27 mois de prison pour des violences et outrages sur une personne dépositaire de l’autorité publique.

Fin mars, les gendarmes le localisent au domicile de son père, un corps de ferme. Comme le rappelle Mediapart, l’homme n’est pas un ange.

Consommateur d’héroïne et de Subutex, il est armé du redoutable couteau Douk-Douk (sur le manche figure la représentation d’un douk-douk, incarnation d’un esprit dans la culture mélanésienne).

La lame pliante est en acier, sans cran d’arrêt.

Angelo Garand a vingt-sept mentions au fichier du traitement des antécédents judiciaires. Son interpellation comporte donc des risques pour les militaires, notera plus tard le directeur d’enquête.

Toujours selon Mediapart, les gendarmes pénètrent dans la ferme. Des membres de la famille préparent un barbecue. Les gendarmes localisent Angelo Garand dans une dépendance. Selon le récit d’un des deux tireurs, l’adjudant Benoît D., le fugitif est dos au mur, torse nu.

Il est touché à plusieurs reprises par des décharges de Taser. Mais il « se rue sur les militaires », assure un autre gendarme, le douk-douk à la main, et tente de le frapper au visage et au cou. L’adjudant fait finalement feu, à 70 centimètres d’Angelo Garand, selon une expertise.

L’homme meurt, touché par cinq balles à l’abdomen.

Un cas de légitime défense pour les gendarmes et la justice, qui prononcera un non-lieu en février 2019, confirmé par la Cour de cassation en juillet 2020. Pour la première fois, une juridiction retient l’article 435-1 du code de la sécurité intérieure, introduit par la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique. Au contraire, pour la famille d’Angelo Garand, il a été tué sans sommation. « On n’a jamais dit qu’il était un saint, mais il ne méritait pas de mourir. Quand la force publique tue, un procès public doit avoir lieu », déplore sa sœur Aurélie dans les colonnes du quotidien régional La Nouvelle République.

Dans les médias, un point est mis en avant dans la polémique : le recours au super-gendarmes du GIGN. Si les gendarmes de l’antenne de Tours sont bien des professionnels de l’intervention, il faut remarquer qu’à cette époque, les quatorze antennes de Métropole et d’Outre-mer n’étaient  pas totalement rattachées au GIGN central de Satory. Elles n’étaient sous l’autorité du GIGN qu’en cas d’engagement opérationnel, mais dépendaient des régions zonales.

En 2021, elles seront totalement intégrées dans le GIGN, une réforme qui marque un tournant dans l’histoire du groupe.

Les gilets pare-balles

Quoi qu’il en soit, cette affaire rappelle qu’il n’y a pas de petite intervention. Chaque mission peut virer au drame. Au départ, les militaires du GIGN ont ne réputation de têtes brûlées. Ils ne portent pas de casques, à l’époque très onéreux, ni de gilets pare-balles. Christian Prouteau a raconté l’histoire des débuts du gilet pare-balles dans l’unité. Dès leur livraison, en mai 1979, les équipiers déplorent qu’ils les gênent dans leurs mouvements. Le fondateur du GIGN laisse d’abord le choix à ses hommes. Une nuit, il fait un cauchemar.

L’un d’entre eux vient de prendre un coup de fusil en pleine poitrine. Le songe marque le chef du groupe. Dans la matinée, il rassemble ses gendarmes. Désormais, le gilet pare-balles sera obligatoire pour les deux premiers gendarmes au contact.

Peu après, vers 11 heures, les militaires sont appelés pour intervenir contre un forcené retranché, un harki qui a déjà tué sa femme, un voisin et un passant. Armé de plusieurs fusils de chasse, il s’est retranché dans sa maison. Gérard Bollet, un équipier, est désigné comme le premier à marcher. Mais il n’a pas mis son gilet pare-balles. Christian Prouteau le sermonne : c’est le gilet ou l’exclusion de l’intervention, rappelle-t-il. Le gendarme grogne mais s’exécute.

Plus tard, lors de l’intervention, il reçoit un coup de fusil en pleine poitrine. On retrouve dans son gilet neuf grains de chevrotine, qui lui ont tout de même laissé des traces sur la peau. Sans cet équipement, il serait sans doute mort. Le cauchemar de Christian Prouteau était prémonitoire.

Le patron du GIGN va constater, pour lui-même, l’intérêt d’une meilleure protection. En octobre 1980, le GIGN est envoyé à Pauillac, au nord de Bordeaux, pour intervenir face à un forcené. L’homme a tiré sur un huissier venu faire une saisie et sur le gendarme qui l’accompagnait.

Le patron du GIGN va négocier en personne. Mais il va y avoir un gros couac. Des journalistes de la télévision régionale FR3 – désormais appelée France 3 – sont présents, avec l’autorisation des gendarmes, pour faire un reporta
ge.

Christian Prouteau parle au forcené, tente de le convaincre de poser son fusil.

Il s’avance vers la porte. C’est alors que l’équipe de télévision allume un projecteur. « Le forcené a pris peur et a tiré dans l’axe », se souvient Christian Prouteau. Le patron du GIGN reçoit une cinquantaine de plombs dans la tête, tirés à travers la porte, à seulement quelques mètres. Il ne porte pas de casque. Ses blessures sont impressionnantes : dents arrachées, visage touché par de nombreux plombs, et cordes vocales atteintes. D’autres plombs sont toujours présents sous sa peau. Ils font sonner les portiques des aéroports. Par chance, ses yeux ne sont pas touchés, grâce à ses lunettes.

C’est le premier officier du GIGN sérieusement blessé en opération.

Philippe B. avant l'assaut de l'imprimerie où se terrent les frères Kouachi, les terroristes qui ont frappé l'hebdomadaire Charlie Hebdo en 2015. L'ancien sous-officier est devenu l'une des voix de vulgarisation du GIGN auprès du grand public.

La balle ricoche, Jean-Louis Prianon tombe

Les missions du GIGN sont très risquées. Mais, pendant vingt-trois ans, l’unité réussit à sauvegarder la vie de ses troupes en opération. Il faut attendre 1997 pour voir un premier gendarme tomber en opération. Il s’appelait Jean-Louis Prianon. Ce 22 juin, il participe à une intervention contre un forcené, à Valaurie (Drôme). « Un choc, la perte d’une forme d’innocence, ou du sentiment d’invulnérabilité », relève Daniel Cerdan dans son livre.

Jean-Louis Prianon, un spécialiste des sports de combat, est en tête de groupe ce jour-là. Les gendarmes sont équipés de gilets pare-balles, de casques, et d’un bouclier pour le militaire de tête. Pour rentrer dans l’habitation, il faut monter un escalier extérieur, et pénétrer à l’intérieur par une porte-fenêtre fermée par un volet en fer. Selon le récit du gendarme chargé d’ouvrir les volets, le forcené ouvre le feu juste après que les gendarmes ont réussi à défoncer le volet.

Jean-Louis Prianon s’effondre, touché par une balle d’une arme de collection à poudre noire.

Il voulait protéger ses camarades avec son bouclier, les bras levés. Mais une balle a ricoché et est passée sous son aisselle, le touchant au cœur. « Depuis ce jour, tous les gilets pare-balles du GIGN descendent sur les bras pour couvrir et protéger les flancs », observe Daniel Cerdan.

Outre Jean-Louis Prianon, le GIGN va déplorer la mort de Frédéric Mortier, tué par un forcené, le 19 janvier 2007, à Gensac-sur-Garonne (Haute-Garonne).

Neuf ans plus tard, le 21 mai, à Gassin, dans le Var, Alain Nicolas, de l’antenne GIGN d’Orange, est lui aussi victime d’un forcené.

Enfin, le maréchal des logis-chef Arnaud Blanc, de l’antenne GIGN de Cayenne, est tué par un garimpeiro, le 26 mars 2023, lors d’une intervention sur un site d’orpaillage clandestin.

Mais, à l’image de la préparation très poussée, les entraînements peuvent être meurtriers.

Dix-sept gendarmes sont morts durant des exercices ou lors d’un déplacement. Soit, en cinquante ans, un mort tous les trois ans.

Raymond Pasquier – la caserne de Satory, où le GIGN s’installe en 1983, porte son nom – est le premier à perdre la vie, en avril 1977, après un accident d’escalade lors d’un exercice de franchissement entre deux immeubles, à Maisons-Alfort.

A l’époque, Christian Prouteau veut quitter le groupe, raconte Pierre-Marie Giraud dans son livre. « Ce sont les gars qui m’ont retenu en me disant : “Vous ne pouvez pas nous laisser” », confie l’ancien patron du GIGN.

Accidents de parachutisme, de plongée, saut depuis un pont, ou en déplacement, ont marqué l’histoire du groupe.

Ainsi, le dernier à perdre la vie sera Jérôme Favier, le fils de Denis Favier, qui avait repris le flambeau familial du GIGN. Il meurt le 1er juillet 2022, lors d’un accident de paramoteur près de Dreux (Eure-et-Loir).

« S’engager dans l’action risquée au service des autres, c’est accepter un certain nombre de choses : la violence parfois extrême du combat, la peur et le stress », rappelle Daniel Cerdan.

« Le danger est grand » derrière la porte de l’inconnu, quand on est en tête du groupe d’assaut, relevait Roland Môntins. « A chaque fois, il y a un rendez-vous avec la vie ou avec la mort », rappelait l’ancien gendarme.

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