Ce débat cornélien avait été lancé, à l'intérieur même de la Gendarmerie, quelques jours après la cérémonie aux Invalides et les hommages unanimes rendus au "héros" Beltrame. L'officier pouvait-il faire fi du protocole d'intervention en se livrant comme otage ou son geste était-il indispensable pour sauver la vie de Julie ? La valeur otage d'un officier supérieur de Gendarmerie, qui faisait partie d'une catégorie sociale détestée par Radouane Lakdim, était à l'évidence plus élevée que celle d'une femme. Rendant du même coup la négociation avec un terroriste détenant un otage à haute valeur ajoutée, encore plus complexe. Le débat n'avait pas été tranché par la direction de l'Arme.
Pour autant, des officiers de Gendarmerie avaient estimé que si Julie était restée otage, la situation aurait être pu gelée plus longtemps, car le terroriste avait assuré Julie qu'il ne lui ferait pas de mal. Cela aurait permis le déploiement du GIGN de Satory sur place. Le détachement du GIGN central, mieux rompu aux prises d'otages à caractère terroriste, s'était en effet posé en hélicoptère à Trèbes pratiquement au moment de l'assaut de l'antenne GIGN de Toulouse. L'ordre d'assaut avait été donné vers 14h30 quelques minutes après que les négociateurs eurent entendu – dans de mauvaises conditions d'écoute – des bruits de lutte et le colonel Beltrame crier "Attaque, assaut, assaut". Visiblement Arnaud Beltrame avait tenté vainement de maitriser Redouane Lakdim. Le terroriste avait touché d'une balle – non mortelle – l'officier avec son pistolet Ruby avant de l'égorger mortellement avec un poignard.
Mardi après-midi, le débat a été relancé devant la cour d'assises spéciale de Paris ou cinq des sept accusés sont mis en accusation pour "association de malfaIteurs criminelle à caractère terroriste". Un major, qui commandait le Psig de Carcassonne, première unité à se rapprocher de Radouane Lakdim et de son otage Julie dans le Super U Trèbes, le colonel qui commandait le groupement de l'Aude à l'époque des faits et le négociateur du GIGN ont apporté leurs témoignages à la barre.
"Pas prévu par les circulaires et le protocole"
Le major Anthony Garcia, chef du Psig de Carcassonne, demande instamment à son supérieur Arnaud Beltrame, numéro 3 du groupement, de "ne pas s'exposer, de se cacher derrière les rayons et de ne pas intervenir" car il n'est pas équipé pour progresser vers un homme armé. Le sous-officier ajoute qu'il dit à son officier qu'il ne peut pas négocier et s'échanger avec l'otage. "Le fait se s'échanger n'était pas prévu par nos circulaires et par le protocole" d'intervention, ajoute le major Garcia.
Le supérieur et ami d'Arnaud Beltrame, le colonel Gay, qui doit passer général de brigade cette année, reconnait qu'il a été "surpris" quand il apprend que son subordonné s'était livré comme otage. Pour l'actuel sous-directeur de l'anticipation opérationnelle (renseignement), le remplacement de Julie par Arnaud Beltrame, revenait à voir alors un soldat s'opposer à un terroriste.
Quand à David Corona, ancien opérationnel et négociateur au GIGN central pendant douze ans, aujourd'hui reconverti dans le privé, il relève que le geste d'Arnaud Beltrame ne figure pas dans les procédures et constitue "une erreur dans le sens militaire". L'ancien gendarme qui a mené de très nombreuses négociations, tant avec des forcenés qu'avec des terroristes, pense que le colonel Beltrame, après être resté près de trois heures sous la menace de Radouane Lakdim, a voulu "tenter sa chance" et maitriser seul le terroriste.
Pierre-Marie GIRAUD