Par Gabriel Thierry • Illustration JEAN SASSON
En janvier 2011, la jeune Laëtitia Perrais disparaît. Si l’enquête est rondement menée par les gendarmes, le fait divers se doublera d’une polémique politique. On découvrira ultérieurement l’ampleur du calvaire de la victime.
Ce n’est vraiment pas normal. Ce mercredi 19 janvier 2011, à Pornic, en Loire-Atlantique, les proches de Laëtitia Perrais s’inquiètent. La jeune fille de 18 ans n’est pas rentrée, la veille au soir, dans sa famille d’accueil après sa journée de travail à l’hôtel de Nantes, à La Bernerie-en-Retz, une station balnéaire. Pas du tout le style de l’apprentie serveuse, au contraire très rangée et sérieuse.
Plus inquiétant encore, au petit matin, vers 7 heures, sur le chemin de son établissement scolaire, Jessica, sa sœur jumelle, retrouve le scooter de Laëtitia à terre. Il gît sur le goudron, à quelques dizaines de mètres du domicile, les clés sont sur le contact et les ballerines de sa sœur à côté. Le deux-roues est un peu abîmé mais il n’y a pas de trace de sang.
Cela fait cinq ans que les deux sœurs ont été placées chez Gilles et Michelle Patron. Leur histoire familiale est chaotique. Leurs parents se sont séparés sur fond de violences conjugales et d’accusation de viol. Sylvie, la mère de Laëtitia et de Jessica, « vivait un cauchemar avec son Franck » marqué par l’alcool et les violences, dira l’un des oncles des filles à Paris Match. Le père est finalement condamné. Mais Sylvie, dépressive, chancelle. Elle fait plusieurs séjours en hôpital psychiatrique et n’est plus en mesure d’éduquer ses enfants. Les deux filles ont 8 ans quand elles sont placées dans un foyer, avant, quatre ans plus tard, d’arriver chez les Patron, leur nouvelle famille d’accueil.
Les deux adolescentes n’ont clairement pas une jeunesse facile. Mais, comme Laëtitia l’écrit vaillamment sur sa page facebook, « il ne faut jamais baisser les bras et aller tout droit ».
En cette année 2011, la jeune femme volontaire prépare son CAP de serveuse. Cela fait quelques mois qu’elle a trouvé une place comme apprentie. L’aide sociale lui a donné un coup de pouce en l’aidant à financer le scooter qui va lui permettre d’aller travailler. La jolie jeune fille aux longs cheveux noirs de jais est d’ailleurs une employée sur qui on peut compter. Décrite par ses proches comme une adolescente timide, sage et discrète, Laëtitia ne boit pas et ne fume pas. Elle sort peu et a un petit ami, Kevin. C’est « une enfant charmante », résume, les larmes aux yeux, Gilles Patron au Parisien.
Elle ne peut pas être partie d’elle-même
Les gendarmes de Pornic, avertis, lancent aussitôt des recherches pour tenter d’éclaircir cette disparition inquiétante. Pour le parquet de Saint-Nazaire et les gendarmes de la section de recherches d’Angers, chargés de l’enquête, cela ressemble fort à un enlèvement.
Une hypothèse privilégiée, même si, comme l’admet la procureure Florence Lecoq, les enquêteurs n’ont aucune certitude sur le fait que Laëtitia soit en vie ou ait été tuée.
« On sait qu’elle n’est pas partie de son propre chef, pieds nus », résume Fabrice Bouillié, alors patron de la section de recherches, au quotidien régional Presse-Océan. « On imagine qu’on va la retrouver. On est dans l’adrénaline pure. On engage tout de suite d’importants moyens. »
« Peu de gens imaginent la concentration de compétences et des moyens qu’il est nécessaire d’engager pour aboutir à une élucidation dans un temps court », rappelait également au Figaro, l’officier de Gendarmerie qui a pris ensuite la tête du bureau de la police judiciaire, puis celle du service central de renseignement criminel.
Un hélicoptère est mobilisé pour les recherches. Le commandement fait également appel à des plongeurs et des maître-chiens, tandis que des enquêteurs commencent à scruter les pistes potentielles. Soit, en tout, 65 militaires engagés pour retrouver la jeune fille.
Les gendarmes s’intéressent d’abord à l’emploi du temps de Laëtitia, la veille. Et ils ne sont pas déçus. Les enquêteurs découvrent qu’elle a été vue en compagnie d’un homme, en fin d’après-midi. Des témoins se souviennent bien du garçon, ainsi que de son véhicule, une Peugeot 106 blanche. En épluchant la téléphonie de la jeune fille, les enquêteurs tombent sur des échanges par SMS troublants. Laëtitia y fait allusion à un viol. Les gendarmes font des réquisitions et retrouvent l’endroit d’où, dans la nuit, ont été envoyés les SMS de la jeune fille. Cela leur permet, dans la soirée, d’avoir le nom d’un premier suspect : Tony Meilhon.
Bien connu des gendarmes
Un homme que les gendarmes connaissent déjà bien. Originaire de Nantes, ce trentenaire né en 1979 est un truand notoire du coin, déjà condamné à treize reprises. Il est jugé extrêmement dangereux, comme le prouvent ces attaques contre des bureaux de tabac ou des stations-service, armé d’un pistolet à grenaille. Les gendarmes ne prennent pas de risque. L’unité d’intervention de la Gendarmerie, le GIGN, est alertée dans la soirée. Ils partent de Satory peu après minuit et, à 4 heures du matin, les spécialistes de l’intervention de l’Arme sont à Pornic.
Tony Meilhon, qui garde une carabine 22 long rifle à son domicile, n’est pas encore précisément localisé. Il peut se trouver à trois adresses différentes, probablement au hameau du Casse-Pot, à Arthon-en-Retz, où son cousin l’héberge dans une caravane.
A 6 heures du matin, les gendarmes du GIGN interviennent et lui passent les menottes. Cependant, toujours pas de trace de Laëtitia.
Les premières déclarations du suspect font froid dans le dos. Tony Meilhon explique aux enquêteurs avoir eu un accident de la route avec la jeune fille. Il aurait involontairement percuté son scooter, la tuant sur le coup. Paniqué, il aurait alors jeté le corps de la jeune femme dans la Loire. Une version dont doutent aussitôt les gendarmes. Les militaires ont en effet déjà mis la main sur d’autres indices.
Ils ont d’abord identifié un témoin qui prouve que Tony Meilhon est bien le dernier à avoir vu la jeune femme. En mettant la main sur le véhicule, les enquêteurs détectent ensuite d’importantes traces de sang dans le coffre de la 106. On ne sait pas encore si c’est celui de Laëtitia, mais quoi qu’il en soit, il y en a trop pour que cela corresponde à un simple accident routier. Enfin, près de la caravane, dans les restes d’un feu, ils ont retrouvé des morceaux de boucle d’oreille, des boutons de pression, une scie métallique et un couteau.
Le samedi 22 janvier au soir, Tony Meilhon est mis en examen pour enlèvement suivi de la mort – l’information judiciaire est ouverte pour ce chef ainsi que pour viol, un crime non visé par la mise en examen.
Les gendarmes entendent alors son ancienne petite amie, Anne-Sophie. Elle n’est pas surprise par son statut de suspect numéro un. Et pour cause : elle a elle-même porté plainte contre lui pour agressions sexuelles et menaces de mort, à la fin décembre 2010, après un viol. En à peine dix mois, leur histoire d’amour s’est transformée en enfer. Tony Meilhon assure tout d’abord vouloir la protéger et lui redonner confiance en elle. Il vient de sortir de prison, il avait écopé de six ans pour trois braquages et 60 euros de butin. Mais il replonge vite dans l’alcool et les drogues. Il se montre jaloux et commence à la frapper. Il finit même par incendier la voiture d’une amie. « Je vais te tuer ! Je vais tuer ton fils ! Et j’irai tuer ta mère à Fougères, et je vais me tuer après”, menace-t-il – des propos rapportés par la jeune femme au Parisien.
Carrière inondée
Aux enquêteurs, l’ancienne compagne signale un détail qui va s’avérer précieux. Tony Meilhon aime pêcher vers Lavau-sur-Loire, de l’autre côté du fleuve, à près de 65 kilomètres en voiture de son domicile.
Le 1er février 2011, les plongeurs de la Gendarmerie se rendent sur place. Et, dans une pièce d’eau d’une ancienne carrière inondée, le Trou Bleu, ils font une découverte macabre.
Emballés dans une nasse artisanale composée d’un grillage ficelé de cordelettes et lestée d’un parpaing, ils retrouvent une tête, deux membres supérieurs et deux membres inférieurs. L’autopsie prouve qu’il s’agit d’une partie du corps de Laëtitia. Les médecins légistes peuvent également affirmer que la jeune femme a été étranglée.
Dans les jours qui suivent, les militaires procèdent à la vidange de l’étang de Lavau-sur-Loire. En vain. Malgré la mobilisation de 150 gendarmes, le buste de la jeune femme reste introuvable. Et Tony Meilhon, qui reste mutique, n’aide pas les militaires.
Après deux tentatives de suicide, il est d’ailleurs placé à deux reprises dans une unité pour malades difficiles, à l’hôpital psychiatrique spécialisé de Plouguernevel, dans les Côtes-d’Armor.
Quand il parle, c’est encore pire. Comme le rappelle Libération, alors que les gendarmes cherchent toujours le buste de la jeune femme, leur principal suspect leur pousse une horrible chansonnette depuis sa cellule. « Oh Laetitia, qu’est-ce que t’étais bonne, je me suis pas ennuyé oh la la, ton petit corps, ça vaut trente ans de prison. […] Oh Laetitia, la Gendarmerie n’a rien pu faire pour toi », chante-t-il. Dans un autre refrain macabre, entonné en présence des gendarmes chargés des transfèrements, il pousse encore plus loin la confession. « Je t’ai découpé les bras, les jambes, je t’ai découpé en six morceaux », siffle-t-il.
Les gendarmes vont finalement être aidés par le signalement d’une promeneuse, le 9 avril.
A Port-Saint-Père, elle a aperçu une forme étrange flottant sur l’étang de Briord. Comme le raconte Ouest-France, les gendarmes de Sainte-Pazanne, alertés, sont rapidement sur place. Il s’agit du buste de la malheureuse, encore attaché à un parpaing. « Même lesté, un corps finit toujours par remonter, encore plus facilement lorsque la température s’élève », rappelle le colonel Edouard Hubscher, le patron du groupement de Gendarmerie. Là encore, l’autopsie va aider les enquêteurs : une trentaine de coups de couteau sont comptés.
La preuve de plus de l’ampleur de l’horreur qui s’est abattue sur la jeune femme ce soir du 18 janvier.
Polémiques
Ce 29 janvier, ils sont plus de deux mille dans les rues de Pornic. En silence, des roses blanches à la main, ils parcourent le dernier trajet de Laëtitia. Un drame qu’on appellerait aujourd’hui un féminicide, ces meurtres de femmes effectués par des hommes.
Sur le perron de la mairie, Gilles Patron, le père de la famille d’accueil de la jeune femme, témoigne de son émotion. « A quelques mètres de ta maison, ta vie a basculé, ton calvaire sera maintenant le nôtre. Nous te promettons de ne pas lâcher notre combat, nous t’aimons », déclare-t-il, avant de déposer un bouquet de fleurs, avec Jessica, la sœur de Laëtitia, à l’emplacement où a été retrouvé le scooter.
Le recueillement laisse toutefois très vite la place à la polémique. Car la politique, plus précisément Nicolas Sarkozy, s’empare du fait divers. « Un tel drame ne peut rester sans suite, de tels actes criminels, si l’enquête les confirme, ne peuvent rester impunis, explique d’abord le chef de l’État. Je souhaite que la justice travaille très vite, très efficacement, afin que toute la vérité soit faite, ajoute-t-il. La récidive criminelle n’est pas une fatalité, et je ne me contenterai pas d’une enquête sans suite, ce n’est pas possible. »
Le 3 février, le Président hausse le ton et met en cause le suivi judiciaire du principal suspect par la justice nantaise. « Quand on laisse sortir de prison un individu comme le présumé coupable sans s’assurer qu’il sera suivi par un conseiller d’insertion, c’est une faute, assure- t-il. Ceux qui ont couvert ou laissé faire cette faute seront sanctionnés, c’est la règle.»
La mise en cause des magistrats fait voir rouge au tribunal de grande instance de Nantes – la relation est déjà bien houleuse entre le monde judiciaire et le chef de l’État. Les juges battent le pavé en masse pour protester.
Gilles Patron est là aussi. « Il faut continuer à se battre pour qu’il n’y ait plus de cas Laëtitia, dit-il. Nos enfants doivent vivre, et le mot récidive doit être banni à tout jamais. Il y a peut-être un manque de moyens, mais ce n’est pas mon problème. » Et d’ajouter, à l’intention des juges : « Ne remettez pas en liberté les criminels sexuels récidivistes, ils recommenceront ! »
Les magistrats entament une grève des audiences de dix jours, massivement suivie en France. La Justice en prend pour son grade Mais pas seulement… Les policiers sont également visés par « les dysfonctionnements graves » dénoncés par le chef de l’État.
Les gendarmes n’évitent pas davantage les critiques, par la voix de l’avocat, Olivier Metzner, le conseil des parents biologiques de Laëtitia. Les militaires auraient dû interpeller Tony Meilhon, le 10 décembre, dans une affaire de trafic de voitures volées, estime-t-il, parlant d’un mandat d’arrêt non suivi d’exécution. Une accusation aussitôt démentie par le parquet de Nantes, qui signale l’absence de mandat d’arrêt au casier du suspect.
Il reste qu’entre septembre 2010 et janvier 2011, la gendarmerie de Couëron enregistre bien plusieurs plaintes contre Tony Meilhon, pour violences au sein de sa famille, vol de voiture, et surtout menaces de mort et viol, la plainte déposée à la police par l’ancienne compagne, Anne-Sophie.
Les militaires ne sont alors pas en mesure, relève plus tard Le Figaro, de localiser ce délinquant notoire, qui ne quitte pourtant jamais son territoire.
Rapport d’enquête
Qu’en est-il des autres accusations ? Un premier rapport de l’Inspection générale des services judiciaires de la Place Vendôme souligne bien une succession d’erreurs dans le suivi de Tony Meilhon à sa sortie de prison, le 24 février 2010. Les inspecteurs remarquent notamment que le conseiller d’insertion, qui avait suivi le condamné en détention, n’avait pas informé son homologue du milieu ouvert de sa sortie.
Une absence de coordination synonyme de rupture dans sa prise en charge, sur fond de sous-effectif chronique au service pénitentiaire d’insertion et de probation.
Il y a ainsi un stock de 690 dossiers non suivis, dont celui du suspect. Tony Meilhon n’est pas, rappelle Le Figaro, un cas jugé prioritaire.
Le délinquant est pourtant enregistré au Fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles (Fijais) – mais il n’a pas signalé son adresse, ce qui lui vaudra d’être inscrit, début janvier, au fichier des personnes recherchées.
Il avait été condamné, quand il était mineur, pour le viol d’un codétenu. Avec d’autres mis en cause, il s’était acharné sur un délinquant sexuel, un «pointeur » dans le langage des prisons. « J’ai vengé la petite fille, il n’a jamais récidivé », explique plus tard Tony Meilhon à propos de ce codétenu suspecté d’abus sexuel sur sa petite sœur.
Quant aux enquêtes internes de la Police et de la Gendarmerie, elles ne signalent aucune faute caractérisée. Même si les bœufs-carottes préconisent d’envoyer un rappel au patron départemental des policiers et au brigadier de police ayant recueilli la plainte, le 26 décembre, de l’ancienne compagne de Tony Meilhon. Au final, la polémique emporte seulement le directeur interrégional des services pénitentiaires de Rennes.
« Un bouc émissaire », déplore l’un des syndicats de la pénitentiaire.
Rencontres dramatiques
Pouvait-on vraiment dire que la Justice avait été laxiste avec Tony Meilhon, alors que ce dernier avait passé l’essentiel de ses années d’adulte en prison ? Aurait-on pu empêcher sa sinistre rencontre avec Laëtitia ? Quoi qu’il en soit, à l’issue de l’enquête, les gendarmes ont une très bonne idée de la succession des événements le soir des faits.
Ce mardi 18 janvier, dans l’après-midi, la jeune femme a visiblement soif de changement, comme le raconte la journaliste Florence Aubenas dans le quotidien Le Monde.
Près de la plage, elle envoie un message à l’un de ses amis. Elle a besoin de se confier. Elle vient de tromper son petit ami avec Josselin, un de leurs amis. Mais elle le regrette déjà.
Et puis intervient un hasard dramatique. Alors qu’elle doute, elle rencontre sur la plage un homme, un trentenaire. Il lui demande s’il peut la photographier, il la trouve belle. Elle accepte. Il s’appelle Tony. Il lui propose un joint de cannabis. Elle n’a jamais fumé, mais elle accepte. Elle l’embrasse devant l’hôtel, à 18h30, quand elle reprend son poste. Ils ont promis de se retrouver après son service.
Pendant ce temps, Tony Meilhon file au supermarché pour lui acheter des gants. Avant de le rejoindre, Laëtitia avertit son petit ami. Elle a rencontré un homme de 31 ans.
Ce soir-là, Laëtitia et Tony Meilhon vont au bar à côté de l’hôtel Le Barbe Blues, avant de se rendre dans un autre rade. Laëtitia prend d’abord un Coca Light, Tony Meilhon lui offre du champagne. Elle ne boit pourtant jamais d’alcool. « Je n’aurais pas dû », envoie-t-elle par texto à William, l’un de ses amis. Elle n’a jamais pris de cocaïne. Il lui en propose et elle accepte. La jeune femme, qui n’a jamais conduit, finit même au volant de la Peugeot vers 23 heures, pour arriver tant bien que mal au Casse-Pot.
Laëtitia a-t-elle réalisé à ce moment-là qu’elle était prise au piège ? Que s’est-il passé exactement dans la caravane ? On l’ignore précisément. Tony Meilhon la ramène ensuite en voiture devant son hôtel, où est garé son scooter. Le fils des propriétaires, qui n’est pas couché, aperçoit Laëtitia. Les deux jeunes gens semblent se disputer. C’est là qu’elle prévient ses proches de ce qui lui est arrivé : elle a été violée. Mais comme elle n’a plus de batterie, elle raccroche. Laëtitia part en scooter. Aussitôt, la 106 de Meilhon commence à la poursuivre. Il va la rattraper dans sa rue.
Un livre, Laëtitia ou la fin des hommes (Ed. du Seuil), va rendre hommage sobrement à la jeune femme, un texte repris ensuite dans une série télévisée par France 2. Ces deux œuvres, expliquent les auteurs, doivent rendre à Laëtitia sa dignité en ne la laissant pas être réduite à sa mort. L’objectif était également « de comprendre comment des masculinités pathologiques ont détruit Laëtitia en moins de vingt ans, souligne Ivan Jablonka, l’auteur du livre, au Parisien. Ces individus ne sont pas des monstres, ce sont des hommes que la société a produits ».
Le secret des jumelles
Au procès en appel, en 2015, le directeur d’enquête soupire. Ce soir-là, «Laëtitia, on a un peu du mal à expliquer son comportement. » Pourquoi cet ange s’acoquine-t-il avec ce démon, une rencontre qui va s’avérer dramatique ?
On sait que Laëtitia et sa sœur Jessica ont eu une enfance douloureuse, ballottées d’un foyer à une famille d’accueil. Mais ce n’était pas tout. Les gendarmes s’aperçoivent très vite que quelque chose ne tourne pas rond. Le Parisien signale ainsi que les militaires envoient très vite une note à l’Elysée, quelques jours après la première rencontre entre le chef de l’État et Gilles Patron, pour faire part de leurs doutes sur la personnalité du père de famille.
« Il n’y avait rien de probant, mais des éléments recueillis sur place hors procédure nous laissaient perplexes », expliquait une source judiciaire.
Comme le rappelle Libération, les militaires perquisitionnent le pavillon des Patron dès le début de l’enquête. Ils mettent alors la main sur deux sombres lettres dans la chambre de Laëtitia. Une sorte de testament où elle précise vouloir donner ses organes à la science, ses vêtements à des œuvres et son argent à sa sœur. « Désolée de partir, mais je ne peux plus vivre dans ces conditions », écrit-elle, rapporte Libération. A quoi Laëtitia fait-elle référence ? Est-ce à cause du contrôle strict exercé sur les jumelles par Gilles Patron, cet ancien des chantiers navals à la grande gueule ?
Au premier procès de Tony Meilhon, on apprend que les jeunes femmes n’ont droit ni aux talons hauts, ni au décolleté. Il tient les deux filles « en son pouvoir », dit une amie des jumelles, Léa. Laëtitia lui a fait une autre confidence, terrible. Elle lui a dit que Gilles Patron la violait. « Elle réussissait parfois à le repousser grâce à son mauvais caractère, mais pas sa sœur », rapporte Léa.
A son procès pour viols et agressions sexuelles, en mars 2014, l’homme parle pourtant d’une « relation amoureuse consentie » avec Jessica. « Il me disait : “Jessica, je t’aime.” Je lui disais : “P’tit Loup, je t’aime, mais comme un père.” », dit la sœur de Laëtitia au procès. « Je n’étais pas d’accord, mais je laissais mon corps faire. Mon cerveau était déconnecté. Il me disait : “Ne le dis à personne. C’est notre secret à toi et à moi.” », ajoute-t-elle… des propos rapportés dans Le Monde.
Elle n’est pas la seule à l’accuser. Une autre jeune fille, qui avait entre 11 et 12 ans à l’époque des faits, le dénonce, tout comme deux amies des jumelles et un garçon. Des gestes « involontaires », s’était-il défendu, avant d’être condamné à huit ans de prison dans ce dossier – il bénéficiera d’un non-lieu pour les accusations relatives à Laëtitia.
Une sombre personnalité
Un an plus tôt, le premier procès de Tony Meilhon s’était ouvert en mai 2013. Pour les proches de Laëtitia, l’audience est attendue. Elle doit leur permettre d’avoir enfin des réponses aux questions qu’ils se posent. Mais ils vont être déçus. Elle va surtout éclairer la sombre personnalité du suspect, un homme au teint gris et au sourire gelé, avec de longs cheveux noirs coiffés en queue-de-cheval.
Son parcours criminel s’inscrit d’abord sur fond de misère humaine. Son père alcoolique est violent avec sa femme. Ils se séparent avant qu’il atteigne ses 3 ans. Il est le dernier des quatre enfants du couple. Un enfant fruit du viol, dira en substance sa mère. Il lui dit qu’il ne se trouve pas beau, elle lui répond qu’il ressemble à son père. Quand il a 8 ans, elle se met en couple avec un nouveau compagnon.
Les choses se passent mal avec Tony. « Il me provoquait, raconte-t-il aux jurés. Il a tué mon chat, l’a mis dans un sac en plastique et l’a jeté dans la Loire. » Il pleure presque pour son animal de compagnie. C’est pourtant le même jeune homme qui s’est montré cruel avec des chiens. Il a ainsi noyé un animal et brûlé vif un caniche dans un four, « pour rigoler ».
En septembre 2010, il a même décapité deux lapins appartenant à l’un de ses frères.
En difficulté à l’école – il est connu au collège comme un bagarreur –, Tony Meilhon est placé en foyer à 13 ans. Il commence à se faire connaître des services de police avec des braquages, cambriolages et du trafic de stupéfiants. Ce qui lui vaut de découvrir la prison à 15 ans. « Chaque fois qu’il revenait de prison, il était de plus en plus méchant », confie sa mère. Il passe ainsi treize ans en prison – il a eu un fils, un bébé parloir –, entrecoupés de quelques périodes de liberté où il devient, par exemple, maître-chien.
Quand il n’est pas en détention, le jeune homme tourne aux psychotropes, des joints de cannabis à l’alcool en passant par la cocaïne et l’héroïne. Mais promis, raconte cet homme intelligent, qui récite sa partition sans avoir besoin de consulter ses longues pages de notes, tout cela, c’est du passé. «Je ne suis pas impulsif du tout », assure l’accusé, décrit au contraire comme un homme jaloux et intolérant à la frustration. « J’ai arrêté l’alcool et les produits stupéfiants. » Ainsi, ses chansons horribles sur la victime
et ses tentatives de suicide, c’était pour être déclaré irresponsable, explique-t-il. « Je n’arrivais pas à assumer l’horreur du crime », ajoute-t-il.
La thèse de la collision involontaire
Aux jurés, Tony Meilhon explique qu’il s’agit d’un crime involontaire. Laëtitia serait bien morte dans l’accident, et qu’importe si les légistes ont, eux, relevé une mort par strangulation. Il aurait ensuite donné des coups de couteau pour faire croire à un crime.
Et c’est un mystérieux ami qui aurait découpé le cadavre de la jeune femme, payé avec le trésor – visiblement imaginaire – de Tony Meilhon, soi-disant 38 000 euros et 2 kilos d’or. « C’est le diable qui m’a dit de faire ça, de faire disparaître les traces », avait-il pourtant dit aux gendarmes, rapporte Le Parisien. « Je savais que vous alliez me retrouver, je vous attendais. Dans la vie, il y a des victimes et des prédateurs, je suis un prédateur. »
La défense de l’accusé laisse froid Fabrice Bouillié, l’ancien patron de la section de recherches d’Angers. « Tony Meilhon a joué une partition qui nous a beaucoup marqués », se souvient-il auprès des journalistes de Presse-Océan. « Des allers retours dans les versions, des coups de bluff. Je me rappelle, au palais de justice, ce qu’il chantait dans sa cellule en attendant d’être présenté au juge d’instruction. C’était terrible. Je me revois encore courir jusqu’au bureau du juge pour lui dire : “Dépêchez-vous, il est en train d’avouer, de chanter qu’il l’a étranglée.” A l’audience, il a continué à manipuler pour tenter d’insinuer le doute de la complicité qui tendrait à affaiblir son rôle. »
Les jurés ne le croient pas davantage. Et, sans surprise, Tony Meilhon est condamné à la peine qu’il appelle de ses vœux : la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une période de sûreté de 22 ans. « Je suis là pour dire la vérité, je ne suis pas là pour négocier une peine. Je n’accepterai pas une peine autre que la perpétuité », déclare-t-il.
Une formulation, comme le relève l’avocate de Jessica, qui est assez invraisemblable. Pourquoi prétendre avoir commis un homicide involontaire pour ensuite demander la peine la plus lourde ? C’est la manifestation de sa « mégalomanie », juge l’avocate.
Le réquisitoire de
l’avocate générale est bref. En trente-cinq minutes, la magistrate Florence Lecoq demande la peine maximale. Et donne l’explication la plus plausible du meurtre : Laëtitia a sans doute été forcée de faire une fellation à Tony Meilhon – un viol, donc –, les analyses ADN le prouvent. Le jeune homme aurait ensuite décidé de la tuer pour la faire taire, ne supportant pas qu’une femme lui dise non.
« Merci », glisse – moqueur ou sincère, on ne sait pas – Tony Meilhon quand le verdict tombe, une heure et demie après la plaidoirie de son avocat. Ce qui ne l’empêchera pas de faire appel et de voir sa peine confirmée, sans toutefois la rétention de sûreté, cette disposition quasi synonyme de prison à vie pour lui. C’était en 2015, il y a huit ans.
Tony Meilhon n’en a pourtant pas fini avec les tribunaux. Après avoir été condamné à un an de prison pour avoir incendié sa cellule, il a poursuivi l’État pour ses conditions de détention et son placement à l’isolement.
Reste enfin l’affaire du viol de son ancienne compagne, celle qui avait porté plainte en décembre 2010. L’ordonnance de mise en accusation a été bouclée… dix ans plus tard.
Un scandale de plus dans une affaire qui a pourtant déjà connu son lot de polémiques.
La date du procès, qui devait avoir lieu en mai 2023, n’était toujours pas connue à l’heure où nous bouclions ces lignes.