Illustration Frédéric Lepage
L’horrible scène se déroule en 1993, au Liberia. Ce petit pays d’Afrique de l’Ouest, qui voisine avec la Sierra Leone, la Guinée et la Côte d’Ivoire, est alors plongé dans une guerre civile sanglante depuis la fin de l’année 1989. David a les coudes attachés dans le dos avec des fils électriques. Cet instituteur dans une école évangéliste de Foya, dans le Nord-Ouest du pays, vient d’être arrêté. Selon le récit que fera son ami Jasper devant la justice française, il a dénoncé à une organisation non-gouvernementale, vraisemblablement à La Croix Rouge, des actes de destructions d’un hôpital menés par un groupe armé.
David est d’abord fait prisonnier au poste de police. Il sera ensuite amené près d’une piste d’atterrissage, tout près de la maison d’un sinistre chef de guerre surnommé « Ugly Boy » – le vilain garçon en français. Plusieurs patrons de l’Ulimo (United Liberation Movement of Liberia for Democracy), un groupe de rebelles, se pressent autour de lui. Les coups commencent à pleuvoir. Un véritable lynchage collectif, auquel David, qui a les mains attachées, ne peut se soustraire.
« Ugly Boy» s’avance alors avec sa hache vers la victime qui supplie à terre. En quelques coups ajustés, il lui ouvre le thorax pour en extraire le cœur. L’organe est d’abord exposé à la vue de tous, sur un plateau. Puis, comme si ces horreurs ne suffisaient pas, le cœur est découpé et mangé par les patrons de l’Ulimo qui ont participé au lynchage. C’est ce qu’on appelle le supplice tabé, une forme de torture particulièrement barbare et très répandue durant la guerre civile.
Présidé aujourd’hui par l’ancien footballeur star du Paris-Saint-Germain, Georges Weah, le Liberia est l’un des pays les plus pauvres de la planète. Mais cette nation de 5 millions d’habitants panse toujours les plaies béantes ouvertes par une terrible guerre civile qui, en une décennie, s’est soldée par environ 250 000 morts. Soit quasiment une personne sur dix, le pays comptant alors 3 millions d’habitants.
Comme le rappelle l’économiste Thierry Paulais dans son livre, l’histoire de ce pays est particulièrement singulière. C’est à l’origine, une colonie créée en 1822 par une société philanthropique américaine. Elle est destinée à accueillir des esclaves libérés venus des Amériques et à répandre la foi chrétienne.
Ironie amère de l’histoire, le projet aboutira à la mise en place d’un régime ségrégationniste sous la coupe des freemen – les hommes libres, en français –, soit les descendants des esclaves libérés.
Dans les années 1980, cet ordre injuste est ébranlé. Pour la première fois, un natif – par opposition aux descendants des colons afro-américains –, Samuel Doe, accède au pouvoir après un coup d’Etat, en avril 1980. Mais loin d’ouvrir le chapitre de la réconciliation nationale, son règne marque le glissement vers la dictature. Ce qui fait finalement basculer en 1989 le pays dans la guerre civile et dans un long cortège d’horreurs.
Les gendarmes de l’Office à la poursuite des crimes de guerre
Près de trente ans plus tard, le colonel Eric Émeraux est de passage au Palais de justice de Paris. Il est alors le chef de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, les génocides et les crimes de guerre (OCLCH). C’est aussi un officier de Gendarmerie bien atypique. Sous l’alias de Matthias Ka, il est également connu comme un compositeur de musique électronique comptant plusieurs dizaines de milliers d’auditeurs sur son compte Spotify. Et l’homme est aussi doublé d’un écrivain : « J’ai toujours considéré
