Lundi 15 décembre 2025, la Direction générale de la Gendarmerie nationale a accueilli une conférence consacrée à l’action de l’Arme au Kosovo en 1999. Devant une vingtaine de personnes réunies dans le cadre du cycle « MaDG » – ces rendez-vous culturels organisés sur la pause méridienne pour les personnels de la direction –, un jeune historien, Erwan L’Héréec, est venu présenter ses travaux de Master.
L’initiative revient au major Luc Demarconnay, lui-même docteur en histoire et organisateur de ce cycle de conférences depuis deux ans. Dans l’assistance figuraient d’ailleurs plusieurs visages familiers pour Erwan L’Héréec puisqu’il les avait interrogés pour son mémoire: le major Marc Muratovic, gendarme à l’époque, ou encore le colonel François Devigny, à l’époque lieutenant et commandant d’un peloton.
Une captation pour les gendarmes actuellement au Kosovo
Les échanges qui ont suivi la présentation ont porté sur les retombées institutionnelles de cette mission – la création du Gopex, les débats sur le maintien de l’ordre en opération extérieure, ou encore sur le nombre important de blessés. La Gendarmerie a filmé la conférence au profit des gendarmes actuellement déployés au Kosovo, vingt-cinq ans après cette mission fondatrice. Une manière de boucler la boucle et de transmettre cette mémoire institutionnelle aux nouvelles générations. Un projet de réunion plus large des anciens, évoqué à cette occasion, pourrait d’ailleurs voir le jour.
L’Essor. – Votre mémoire de Master porte sur l’engagement de la Gendarmerie au Kosovo, en 1999. Comment avez-vous accédé aux sources pour ce travail?
Erwan L’Héréec. – Le centre de recherche de la Gendarmerie m’a ouvert les portes du musée de la Gendarmerie et donné accès à leur intranet. Cela m’a permis de retrouver les gendarmes présents au Kosovo à cette époque, avec qui j’ai pu mener une vingtaine d’entretiens. J’ai aussi eu accès à un document exceptionnel, prêté par l’un des témoins: le journal de marche et des opérations du premier détachement, édité de manière informelle par son commandant, le colonel Claude Vicaire, en 96 exemplaires numérotés. On y trouve, heure par heure, tous les événements.
Quel était le contexte de l’intervention de la Gendarmerie au Kosovo en 1999?
Après les accords entre l’Otan et la Serbie, en juin 1999, le pays connaît un vide juridique et sécuritaire. La police serbe se retire en brûlant tous les documents administratifs (mairies, tribunaux, postes de police). Des gens se retrouvent sans papiers. Il n’y a plus aucune structure étatique, plus de Justice, plus de services publics. L’armée de Terre française n’est pas formée pour l’administration du territoire et les questions de population. D’où l’arrivée des gendarmes.

Des gendarmes français assurant des missions aux côtés de leurs camarades de l’armée de Terre, au Kosovo, en 1999. (Gendarmerie)
« En deux à trois semaines, on envoie 125 gendarmes au Kosovo »
Comment s’est organisé ce déploiement?
C’est allé très, très vite. En deux à trois semaines, on envoie 125 gendarmes au Kosovo, principalement issus du Groupement blindé de gendarmerie mobile de Satory, complétés par des gendarmes départementaux volontaires. On en est à peu près à deux tiers de mobiles, un tiers de départementaux. Une section un peu particulière est créée: le PGSI, avec plus de départementaux, des techniciens et de la police scientifique. C’est un héritage des précédents engagements en Yougoslavie, initialement pensé pour les investigations sur les crimes de guerre.
Quelles ont été les missions concrètes de ces gendarmes?
Il y a eu trois grandes missions. D’abord, la reconstruction complète du système judiciaire. Dès le lendemain de leur arrivée, les gendarmes ouvrent un poste où les gens viennent déposer plainte. Mais ils se retrouvent face à un problème: ils ne connaissent pas le droit kosovar et, de toute façon, il n’y a plus rien. Alors ils appliquent le code pénal français avec l’aide de traducteurs. Ils recréent une salle des preuves, gèrent la prison, font tout de A à Z. Les chiffres sont impressionnants: entre le 20 juin et fin juillet, il y a 1.301 rapports journaliers et 979 plaintes déposées. Avec des pics à 110 rapports par jour.
Et le maintien de l’ordre?
Le maintien de l’ordre est la deuxième grande mission. Paradoxalement, les gendarmes ne devaient pas en faire au départ. Mais, dès le premier jour, ils voient une manifestation et se mettent naturellement en place en chemisette. Le pont de Mitrovica devient le point de fixation de toutes les tensions entre communautés serbe et albanaise. Les gendarmes sont en première ligne, mais quand ça dégénère trop, les militaires de l’armée de Terre passent devant.

Des gendarmes français assurant des missions de maintien de l’ordre au Kosovo, en 1999. (Gendarmerie)
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Manifestations violentes
Le 15 octobre 1999, une manifestation bascule: échanges de grenades offensives, tentatives de passage par le fleuve… Le colonel Vicaire, bien que blessé auparavant, est présent. On le voit sur des images en train de donner des ordres tout en jetant lui-même des grenades lacrymogènes sur les manifestants.
Qu’en est-il des crimes de guerre?
C’est la troisième mission, et elle prend énormément de temps en raison du nombre et de la gravité de ces crimes. Il y a deux niveaux: la constatation et l’exploitation. Une équipe de l’Institut médico-légal de Paris vient déterrer les corps et réaliser des autopsies de masse. Des gendarmes spéléologues explorent les mines pour vérifier qu’il n’y a pas de cadavres à l’intérieur. Le problème, c’est que beaucoup de preuves sont détruites par le temps, et les gens se sont enfuis.
Un seul massacre sera complètement élucidé, avec identification des auteurs, celui de la rue Popovic. Il est « classique » d’un point de vue historiographique: utilisé pour terroriser et faire fuir les populations. Des paramilitaires encerclent un immeuble, tandis que l’armée yougoslave, principalement composée de Serbes, se tient à distance pour ne pas se salir les mains. Les femmes et les enfants sont envoyés sur la route vers l’Albanie, alors que les 25 hommes sont tués, principalement par balle ou à la baïonnette.
Quel a été l’héritage de cette mission pour la Gendarmerie?
Le Kosovo, c’est un peu la preuve pour la Gendarmerie de l’importance qu’elle peut avoir dans tout ce qui est lié à la stabilisation post-conflit et au nation building. Il va y avoir une retombée théorique énorme, avec un magnifique document de doctrine sur l’utilisation de la Gendarmerie en Opex. Il n’a cependant pas souvent été appliqué, faute de théâtres similaires.
Matthieu Guyot
Retrouvez en janvier 2026 un dossier dédié à la Gendarmerie à l’international dans votre journal L’Essor de la Gendarmerie n°608.
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