L’interpellation en plein cours lundi 18 septembre à Alfortville (Val-de-Marne) d'un collégien soupçonné de harcèlement a entraîné une polémique sur les conditions d'arrestation en milieu scolaire. Voici les règles en la matière:
– Qui autorise l'interpellation ?
A Alfortville, les policiers sont "intervenus avec l'accord du parquet et de l'équipe éducative", a détaillé à l'AFP une source policière, précisant que l'interpellation avait "été effectuée au regard de la nature des menaces extrêmement graves qui nécessitaient une interpellation urgente". Scolarisée dans un autre établissement, l'élève harcelée aurait été menacée avec des propos tels qu'"on va t'égorger" et "j'ai une haine envers ta race, casse-toi, va mourir, suicide-toi sale PD, travelo", précise-t-elle.
Les interpellations en milieu scolaire ont lieu "uniquement quand il y a une situation d'urgence, quand il n'y a pas le choix", ajoute une autre source policière. Elle précise que le parquet est "systématiquement avisé" et l'interpellation ne peut se faire qu'avec "l'accord et l'autorisation du chef d'établissement", précise à l'AFP cette source.
"Le proviseur ou principal peut s'opposer au fait que les policiers rentrent dans l'établissement", poursuit-elle. Dans ce cas, les forces de l'ordre "pourront décider d'attendre et de procéder à l'interpellation à l'extérieur de l'établissement ou à tout autre moment", selon elle.
Contactés, les ministères de l'Intérieur et de l'Education nationale n'ont pas donné davantage de précisions.
– Des protocoles par établissement
Selon le syndicat des chefs d'établissements SNPDEN-Unsa, des protocoles existent, établissement par établissement, pour "définir les conditions dans lesquelles la police peut ou ne peut pas intervenir" à l'intérieur d'un collège ou d'un lycée, a expliqué à l'AFP Didier Georges, membre de l'exécutif du syndicat.
"En début d'année scolaire, en général, on se réunit et on met bien au clair la façon dont une intervention de police dans un établissement scolaire peut se dérouler", détaille-t-il, évoquant une circulaire datant de 2009 qui a instauré des policiers ou gendarmes référents pour les établissements scolaires.
Pour le cas précis des enfants de famille en situation irrégulière et menacée d'expulsion, les forces de l'ordre ne peuvent plus intervenir "au sein ou aux abords des écoles et établissements scolaires", selon une circulaire de 2013, prise après l'affaire Leonarda, mineure d'origine rom interpellée lors d'une sortie scolaire.
– Interpeller en classe ?
Dans la plupart des cas, "c'est nous qui allons chercher l'élève en classe. On l'isole dans un bureau, du chef d'établissement ou du CPE (conseiller principal d'éducation) et on demande aux services de police qui viennent l'arrêter de passer par derrière s'ils sont en tenue ou de l'emmener discrètement s'ils sont en civil", poursuit Didier Georges, du syndicat des chefs d'établissements.
Pour lui, "le bon sens imposerait que ces interventions, quand bien même elles soient totalement justifiées, ne se fassent pas dans une classe". De telles interventions en classe "sont rares", souligne-t-il.
Dans un guide sur l'insécurité élaboré en 2006 par le ministère de l'Education nationale, il est noté que l'interpellation d'un élève "doit être envisagée de façon concertée entre le directeur d'enquête et le chef d'établissement, lequel doit par ailleurs tout mettre en oeuvre pour que le trouble à la vie scolaire soit limité". "Il faut déterminer les meilleures conditions de temps et de lieu pour concilier les nécessités de l'enquête et les contraintes liées à la vie interne de l'établissement".
Interrogée sur les conditions de l'interpellation, la préfecture de police de Paris, dont dépend le Val-de-Marne, n'a pas donné suite.
Les chiffres du harcèlement scolaire
Un rapport sénatorial de 2021 estimait le taux de harcèlement "autour de 6% des élèves", en précisant toutefois que ce pourcentage "incluait les élèves de maternelles où les cas de harcèlement sont rarissimes".
Selon les chiffres de l’Education nationale, "en CM1-CM2, 2,6% d’élèves subissent une forte multivictimation qui peut être apparentée à du harcèlement (enquête de la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance, la Depp, de 2021) ; au collège, 5,6% d'élèves en sont victimes (enquête Depp 2017) ; au lycée, 1,3% d’élèves en sont victimes direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance, la Depp, de 2021) ; au collège, 5,6% d'élèves en sont victimes (enquête Depp 2017) ; au lycée, 1,3% d’élèves en sont victimes ) ; au collège, 5,6% d'élèves en sont victimes (enquête Depp 2017) ; au lycée, 1,3% d’élèves en sont victimes (enquête Depp 2018)")".
Sur la question plus spécifique du cyberharcèlement, le rapport sénatorial soulignait son augmentation: " selon la Direction générale de l'enseignement scolaire (DGESCO), 25% des collégiens déclarent avoir connu au moins une atteinte via les nouvelles technologies, et 14% des lycéens disent avoir fait l'objet d'une attaque sur internet". Par ailleurs entre 2015 et 2018, la Depp estime que "le nombre de victimes de vidéos, photos et rumeurs humiliantes était passé de 4,1% à 9% (9,9% des filles et 8,1% des garçons)".
Une étude Ifop de mars 2021 réalisée auprès d'échantillons représentatifs de la population française de plus de 15 ans et d'enseignants révélait que 41% des répondants disaient avoir subi de façon répétée et continue une violence verbale, physique ou psychologique dans le contexte scolaire ou extra-scolaire, principalement au collège (54%), puis en primaire (23%) et au lycée. Les réponse montraient que toutes les classes sociales sont touchées, mais que le harcèlement scolaire diminue de façon linéaire avec le niveau de revenu, touchant 49% des Français de "catégorie pauvre" contre 32% des "hauts revenus".
La brigade de prévention de la délinquance juvénile du Doubs fête ses 20 ans
La prévention par la Gendarmerie
Dans le cadre de leurs interventions de sensibilisation dans les établissements scolaires, les gendarmes des brigades de prévention de la délinquance juvénile (BPDJ) –dont la majorité ont été transformées en Maisons de la protection des familles (MPF)– évoquent la question du harcèlement entre élèves. Ils expliquent ainsi aux élèves ce que sont le harcèlement et le cyberharcèlement et leur présentent les dynamiques et caractéristiques de ces phénomènes.
Les gendarmes leur rappellent également les conséquences de tels actes sur les victimes, mais aussi sur les spectateurs et les auteurs. Pour ces derniers, depuis mars 2022, le harcèlement scolaire est en effet un délit. S’ils sont âgés de plus de 13 ans, les auteurs encourent une peine allant jusqu’à 28 mois d’emprisonnement et 7.500€ d’amende pour les auteurs mineurs (jusqu’à 3 ans et 45.000€ pour les majeurs). En cas de suicide ou de tentative de suicide de la victime, les peines maximales encourues sont de dix ans de prison et de 150.000 euros d’amende.
Pour demander de l’aide
Les élèves, parents, ou professionnels qui souhaitent signaler une situation de harcèlement entre élèves peuvent appeler le 3020 (service et appel gratuits). En cas de cyberharcèlement, le numéro est le 3018. Il existe également une application mobile 3018 que l’on peut télécharger sur iOS ou Google Play.
(Avec Tiphaine LE LIBOUX et Sophie LAUBIE de l'AFP)