Il y a du changement à la tête des services de renseignements français. L'annonce des nouveaux directeurs de la sécurité intérieure et de la sécurité extérieure a été faite à l'issue du Conseil des ministres du mercredi 20 décembre 2023. Ils prendront leurs fonctions le 9 janvier prochain.
Du côté de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSE) tout d'abord, c'est le préfet Nicolas Lerner, 45 ans, qui va remplacer l'actuel directeur général Bernard Emié. Un transfert inédit entre les deux institutions du renseignement français puisque Nicolas Lerner était, depuis cinq ans, en première ligne de la lutte antiterroriste en tant que directeur général de la sécurité intérieure.
"Tous mes voeux de succès à Nicolas Lerner pour continuer à protéger, dans l'ombre, la France", a ainsi écrit sur X (ex-Twitter) le ministre des Armées Sébastien Lecornu, exprimant au passage la "reconnaissance de la Nation" à Bernard Emié, son prédécesseur à la DGSE.
Nicolas Lerner, énarque, issu de la même promotion qu'Emmanuel Macron dont il est proche, avait été nommé directeur général de la sécurité intérieure en octobre 2018. Unanimement salué comme un travailleur acharné, un "pro", ce haut fonctionnaire discret de 45 ans a fait toute sa carrière au sein du ministère de l'Intérieur. Affecté au secrétariat général de la place Beauvau en 2004, à sa sortie de l'ENA, il est nommé deux ans plus tard directeur de cabinet du préfet de l'Hérault (2006-2008). Il travaille ensuite au cabinet du préfet de police de Paris, avant d'être nommé en 2014 sous-préfet de Béziers. Coordonnateur pour la sécurité en Corse-du-Sud (2015-2017), il devient en 2018 directeur adjoint du cabinet du ministre de l'Intérieur Gérard Collomb. "C'est un gros bosseur, un taiseux", dit à l'AFP l'ex-ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, qui l'a nommé à la tête de la DGSI et vante son "réseau unique".
Légende photo: Le préfet Nicolas Lerner, alors patron de la DGSI. (Photo: DGSI)
"Nicolas est très proche de ses collaborateurs(…). Il a un énorme potentiel", le décrit aussi Laurent Nuñez, qui était, avant de prendre le poste de préfet de police de Paris, coordinateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme de 2020 à 2022, et qui est un de ses très proches. À la demande du président Macron, il a fait de la DGSI la cheffe de file incontestée de la lutte antiterroriste.
Nicolas Lerner a "réalisé un énorme travail d'investissement à l'international donnant à la DGSI une crédibilité renforcée" et une visibilité qui "n'existait pas auparavant", complète un spécialiste du secteur. Côté syndicats de police, on salue un homme "accessible et, en plus, sympa", selon Grégory Joron, chef d'Unité SGP Police-FO. "Je n'ai jamais entendu personne s'en plaindre", ajoute Patrice Ribeiro, d'Alliance.
Des postes exposés
Depuis les attentats de 2015, et dans un contexte de menace terroriste toujours présente, les moyens de la DGSI ont été accrus lors de son mandat. Fin 2023, la direction comprendra un total de 5.000 agents, contre 4.200 fin 2018. Depuis 2017, 43 projets d'attentats islamistes ont été déjoués ainsi que 10 projets d'attentats inspirés par la mouvance d'ultra-droite. Plusieurs attentats ont cependant touché le pays, dont deux ces dernières semaines, à Arras et Paris. Dans les deux cas, leurs auteurs étaient suivis par la DGSI. Toujours soutenu par le pouvoir politique, M. Lerner avait balayé les accusations d'échec mais reconnu, dans une interview au Monde, que "chaque passage à l'acte constitue pour nous une amère frustration et une immense tristesse".
Sa nomination met fin au mandat de Bernard Emié, diplomate de formation, à la DGSE pendant plus de six ans. Rigoureux, parfois sec, il a notamment mis en œuvre une vaste réforme de la DGSE, bénéficiant d'une augmentation importante de son budget dans le cadre de deux lois de programmation militaire (LPM) successives. Ces dernières années, la DGSE a en revanche été critiquée pour un certain nombre d'échecs, notamment ne pas avoir vu venir l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Elle n'a pas non plus anticipé les coups d'Etat successifs au Mali, au Burkina Faso et au Niger. Des critiques jugées "injustes" par une source au sein de la communauté du renseignement. "La DGSE avait alerté le pouvoir politique que ces régimes pouvaient tomber comme des fruits mûrs", ajoute-t-elle.
La sécurité intérieure reprise par une policière
A la DGSI, Nicolas Lerner cède sa place à l'actuelle numéro deux de la direction générale de la Police nationale (DGPN). Âgée de 47 ans, cette femme à l'ascension fulgurante est la première à prendre les rênes de la sécurité intérieure.
Légende photo: La contrôleuse générale Céline Berthon occupait le poste de n°2 de la Police nationale. (Photo: S.Sarfati / Sicop-MI)
"Policière à la carrière remarquable", elle "aura à diriger une des administrations les plus sensibles de notre pays", a écrit sur X le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, qui a aussi adressé un "grand merci" à Nicolas Lerner qui a dirigé la DGSI "avec un engagement absolu".
Numéro deux de la Police nationale depuis avril 2023, beaucoup la voyait programmée pour devenir DGPN, en succédant à Frédéric Veaux, dont le mandat doit prendre fin en septembre 2024, après les Jeux Olympiques de Paris 2024. "Je lui avais demandé de me rejoindre lorsque j'avais pris mes fonctions en 2020", dit à l'AFP M. Veaux. "Je la connaissais pour ses compétences, sa connaissance du terrain, du réseau". Ses "qualités et compétences sont reconnues par tout le monde", ajoute-t-il. "Elle sait fédérer les équipes autour d'elle". "C'est quelqu'un pour qui j'ai beaucoup d'estime et de confiance", dit-il encore.
Première femme a être directrice de cabinet du DGPN en 2021, elle est aussi la première femme nommée à la tête de la Direction centrale de la sécurité publique (DCSP) la même année, à un moment où la place Beauvau cherchait à féminiser ses postes de direction. Elle est "brillante, loyale, droite et intellectuellement remarquable", dit d'elle un de ses proches collègues policiers. Elle a une "vision de ce que doit être la police, y compris dans ce qu'elle doit à la population", ajoute-t-il.
Fille d'un policier dans le renseignement et d'une agente administrative dans le privé, Céline Berthon grandit en région parisienne. À la sortie de l'école des commissaires en 2000, elle commence sa carrière dans la sécurité publique, dans les Yvelines, en assurant la direction de plusieurs commissariats. Elle rejoint en 2005 l'état-major de la DCSP, qui chapeaute l'ensemble des commissariats de France. Elle travaille ensuite deux ans à la sous-direction de l'information générale (SDIG, ex-Renseignements territoriaux), où elle est chargée du "suivi de la vie économique et sociale et de ses conséquences en termes d'ordre public", selon le ministère.
Nommée à la tête du puissant syndicat des commissaires (SCPN) en 2014, "elle a su être pugnace quand il le fallait", selon son proche collègue. "Elle est directe et franche", mais "sans jamais briser le dialogue", complète Grégory Joron, chef du syndicat Unité Police-FO. "On a eu des points de divergences et même si on n'obtenait pas toujours ce qu'on voulait, elle était quand même à l'écoute, notamment lorsqu'elle était au cabinet du DGPN", ajoute-t-il.
En 2018, l'actuel préfet de police de Paris, Laurent Nuñez, la fait venir aux renseignements intérieurs. Elle prend un poste d'adjointe, à la sous-direction de la lutte contre le terrorisme. "Je lui avais confié l'explication aux cadres de la maison de la réforme" de la DGSI, désignée chef de file de la lutte antiterroriste. "Elle m'avait aidé à convaincre", raconte à l'AFP le préfet Nuñez. "Elle allie de grandes qualités humaines à de grandes qualités professionnelles", poursuit-il. Elle a également travaillé sous la direction de Nicolas Lerner, son prédécesseur, nommé mercredi à la tête de la DGSE.
Nommés en Conseil des ministres, Nicolas Lerner et Céline Berthon prendront leurs fonctions respectives le 9 janvier 2024.