"Bonjour, je vous appelle dans le cadre de votre Compte formation". Le marketing autour du compte personnel formation (CPF) a été si intrusif qu’il est fort probable que vous ayez reçu un appel de ce type depuis 2019. Depuis lors, les droits à la formation s’acquièrent en effet en euros et non plus en heures, et par l'intermédiaire d'une plateforme en ligne. Une modification qui a entraîné une explosion de ces appels et SMS, pénibles mais légaux. Mais le CPF a aiguisé l’appétit d’escrocs dont l’objectif est bien de détourner l’argent destiné à la formation. La pratique est si courante qu’elle figure en tête de la liste des questions fréquentes sur le site gouvernemental qui donne la marche à suivre pour signaler une telle escroquerie.
Dix personnes soupçonnées de se livrer à de tels actes ont été mis en examen jeudi 17 novembre, dans le cadre d’une enquête menée par les gendarmes de la section de recherches (SR) de Versailles, a-t-ton appris de source judiciaire. Au total, 14 personnes – dix hommes et quatre femmes âgés de 20 à 50 ans – avaient été interpellées en région parisienne et à Toulouse, et placées en garde à vue dans le cadre de deux enquêtes ouvertes à Paris.
Elles étaient soupçonnées d'être impliquées dans deux réseaux, possiblement liés, qui obtenaient frauduleusement depuis 2021, grâce à des sociétés de formation fictives, de l'argent de la Caisse des dépôts et des consignations (CDC) pour un préjudice total estimé à 8,2 millions d'euros. Quatre d'entre elles ont été libérées sans poursuite à ce stade.
Sur les dix personnes mises en examen pour escroquerie, quatre l'ont aussi été pour association de malfaiteurs et six pour blanchiment en bande organisée et faux et usage de faux. Deux personnes ont été placées en détention provisoire, une incarcérée dans l'attente d'un débat sur une éventuelle détention provisoire et les sept autres placées sous contrôle judiciaire.
1,6 million d'euros saisis et 500.000 euros en cours de décaissement bloqués
Le CPF, qui existe depuis le 1er janvier 2019, permet à toute personne active d'acquérir des droits à la formation en euros et non plus en heures, par l'intermédiaire d'une plateforme en ligne. C'est la CDC qui rémunère directement les sociétés de formation. Pour obtenir les CPF, les suspects auraient eu recours à la fois à du hameçonnage, notamment via des démarches téléphoniques ou par SMS, pour obtenir des données personnelles de salariés mais aussi à quelques milliers de stagiaires complaisants qui auraient signé pour des formations non-réalisées contre rémunération, en espèces ou sous la forme de cadeaux. Un organisme de certification est également dans le viseur des enquêteurs.
L'argent récolté partait notamment sur des comptes à l'étranger, comme aux Émirats arabes unis, au Maroc ou en Hongrie. Au total, la justice a saisi à ce stade 1,6 million d'euros et bloqué plus de 500.000 euros en cours de décaissement à la CDC.
L'une des deux enquêtes a été ouverte en mai à la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Paris, confiée aux gendarmes de la SR de Versailles. L'autre est une information judiciaire ouverte le 23 juin, après quelques mois d'enquête préliminaire, et confiée aux gendarmes de la brigade de recherches de Grasse (Alpes-Maritimes), où une plainte avait été déposée.
Co-saisi dans les deux cas, le Service central de renseignement criminel (SCRC) a recensé 440 procédures autour du CPF ouvertes en France entre le 1er janvier 2021 et le 30 juin 2022 en zone gendarmerie, selon RTL. Interviewé par la radio, le patron du SCRC, le général Fabrice Bouillé avait reconnu avoir conscience "qu'il y a un chiffre noir, celui des particuliers qui ne déposent pas plainte", alors que leur CPF a été dépouillé par des aigrefins.