L’arrestation de Mohamed Amra, samedi 22 février 2025 en Roumanie dans le cadre d’un mandat d’arrêt européen, met un terme aux neuf mois de cavale du narcotrafiquant multirécidiviste. Le 14 mai 2024, un commando avait attaqué, au péage d’Incarville (Eure), le convoi de l’Administration pénitentiaire qui le transférait dans le cadre d’une audition par un juge d’instruction à Rouen (Seine-Maritime). Il était alors détenu à la prison d’Evreux. La justice le soupçonnait d’avoir commandité des meurtres en lien avec des trafics de stupéfiants, depuis sa cellule. Il sera remis à la France dans les prochains jours. Une double vague d’interpellations, totalisant 25 personnes, s’est déroulée au cours du week-end.
La scène de son évasion avait été filmée par une caméra de surveillance du péage et par des usagers de la route. Les images montrent plusieurs hommes, cagoulés et vêtus de noir, tirer sans sommation apparente au fusil d’assaut sur les agents du Pôle de rattachement des extractions judiciaires (Prej) de Caen. Ils avaient auparavant stoppé le convoi à l’aide d’une voiture-bélier. Deux agents pénitentiaires, Fabrice Moello et Arnaud Garcia, avaient alors été tués. Trois autres avaient été blessés lors de cette attaque ultraviolente.
Amra, de l’adolescent voyou au chef de réseau
Ce jour-là, la France découvrait l’existence de Mohamed Amra, 30 ans. Adolescent voyou, il avait été condamné pour la première fois à l’âge de 13 ans pour vols aggravés. Il a ensuite progressivement « dérivé vers la violence », pour rejoindre la grande criminalité organisée, d’après un rapport de l’Inspection générale de la Justice (IGJ). Sa « dangerosité grandissante » n’avait toutefois pas été évaluée à sa juste mesure alors qu’il était soupçonné d’avoir poursuivi « ses activités de trafic de produits stupéfiants en ayant recours à la plus grande violence » depuis la prison, selon l’IGJ.
Cette attaque meurtrière avait jeté une lumière crue sur le degré de violence atteint par une nouvelle génération de trafiquants de drogue. Le rapport de l’IGJ avait d’ailleurs relevé un « déficit » de communication entre les différentes autorités judiciaires, pénitentiaires et les forces de sécurité. Cela avait conduit à considérer Amra comme un détenu ordinaire et non comme un détenu particulièrement dangereux.
Recherché par plus de 300 enquêteurs
Depuis, le fugitif et ses complices étaient recherchés en France par plus de 300 policiers. Preuve du caractère hors norme de l’enquête sur cette évasion, « 100 à 150 » enquêteurs de la police judiciaire travaillaient au quotidien sur ce dossier devenu symbole de l’emprise du narcotrafic en France, a rappelé lundi 24 février 2025 Christian Sainte, le patron de la Police judiciaire.
La traque s’était aussi organisée dans toute l’Europe, sur mandat d’arrêt européen. Par ailleurs, face aux soupçons de fuite au-delà des frontières européennes, une « notice rouge » avait été émise par Interpol, à la demande de la France, pour localiser le détenu évadé. Une information judiciaire, menée par la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) et confiée à la police judiciaire, avait été ouverte notamment pour « meurtres, tentatives de meurtre et évasion, en bande organisée ».
Arrestation en douceur à Bucarest
La mobilisation des enquêteurs et la coopération internationale ont fini par payer. Après neuf mois de cavale, des membres de l’unité d’intervention spécialisée de la police roumaine SIAS ont arrêté en douceur, le samedi 22 février chez un barbier, le fugitif le plus recherché de France. L’annonce a été faite par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau qui a félicité « toutes les forces de l’ordre qui ont permis l’arrestation de Mohamed Amra en Roumanie » sur son compte X. Son homologue roumain, Catalin Predoiu, explique que « la police roumaine l’a localisé, identifié et capturé dans les 48 heures suivant la première information selon laquelle il se trouvait sur notre territoire ». Le narcotrafiquant y serait arrivé début février afin d’y « faire des opérations (de chirurgie) esthétiques » avant de « quitter le pays pour la Colombie ».
Je félicite toutes les forces qui ont permis l’arrestation de Mohamed Amra en Roumanie aujourd’hui . Je remercie chaleureusement la Roumanie pour sa coopération décisive.
— Bruno Retailleau (@BrunoRetailleau) February 22, 2025
Le soulagement des familles…
« Plus de neuf mois après l’assassinat barbare d’Arnaud Garcia, l’arrestation de Mohamed Amra est évidemment un immense soulagement pour sa famille », ont réagi Mes Pauline Ragot et Thibault de Montbrial, avocats de la veuve du surveillant brigadier Arnaud Garcia, décédé aux côtés du capitaine pénitentiaire Fabrice Moello dans l’attaque du fourgon blindé.
Ancien gendarme, le père d’Arnaud Garcia a témoigné de son soulagement aux micros de nos confrères, dont celui de France Bleu Normandie.
« C’est l’aboutissement d’une enquête menée par les services de police, en collaboration avec Interpol », rappelle Dominique Garcia qui a appris l’arrestation de Amra à la radio. « Il a été l’instigateur d’un assassinat. Mon fils est mort. Et c’est à cause de lui et de ses collègues qu’une petite fille, aujourd’hui âgée de cinq mois, ne connaîtra jamais son père », assure Dominique Garcia. « Que justice soit faite, qu’il reconnaisse les faits, ce serait une justice morale pour nous ». Bien que déterminé, il appréhende, comme les autres proches des victimes d’Amra et de son commando, la phase judiciaire qui va commencer. « Ce sont encore des épreuves qu’il va falloir surmonter ». Dominique Garcia rappelle également qu’il a « fallu cet assassinat pour remettre en question certaines conditions d’extraction. Et il faut que tout le monde en prenne conscience ».
… et des proches des agents tués
Ce « premier soulagement » est aussi partagé par la veuve et les deux fils de M. Moello. « Nous saluons le travail des enquêteurs et des juges d’instruction. Il convient que les investigations se poursuivent sereinement et que la famille continue d’être préservée », a déclaré à l’AFP leur avocat, Me Matthieu Chirez.
Mêmes réactions des collègues des agents pénitentiaires tués. « Tout le monde est très ému ici », a confié à l’AFP Olivier Duval, surveillant pénitentiaire de Caen-Ifs. « On espère surtout qu’ils vont aussi le faire parler pour récupérer les autres (membres du commando, NDLR) car ce sont eux qui ont tiré. » « N’oublions pas que les membres du commando sont toujours dans la nature. Leur arrestation est également espérée très rapidement », avait aussi souligné au cours du week-end Wilfried Fonck, secrétaire national Ufap Unsa Justice.
Vague d’arrestations de complices présumés d’Amra
Des paroles vraisemblablement entendues puisque depuis dimanche, plus d’une vingtaine d’arrestations ont eu lieu dans l’entourage de Mohamed Amra. 25 personnes, « âgées entre 16 et 37 ans », ont ainsi été interpellées et placées en garde à vue depuis le début des opérations, a précisé Laure Beccuau, la procureure de Paris, soit 18 hommes et 7 femmes. Deux personnes sont mineures. Après la levée de trois des 25 gardés à vue, 22 restent interrogés.
Outre Mohamed Amra, trois personnes ont été interpellées à l’étranger : une en Espagne et deux autres au Maroc. Selon la direction générale de la sûreté nationale (DGSN) du Maroc, il s’agit de deux Français, âgés de 28 et 38 ans. Le troisième homme interpellé en Espagne, surnommé « Abe », est considéré comme « l’un des responsables » de l’évasion de Mohamed Amra. Il a été arrêté dans une luxueuse villa disposant d’importantes mesures de sécurité à Mijas, dans la province de Malaga, a précisé la police espagnole. Lors de la perquisition, les enquêteurs ont notamment retrouvé un revolver et un fusil à pompe chargés, des munitions, des brouilleurs, des plaques d’immatriculation françaises « doublées » et un véhicule de luxe volé en France.
Poursuite des investigations
Les enquêteurs voulaient donc « retrouver Mohamed Amra, appréhender le commando d’Incarville (Eure), et identifier l’ensemble des personnes qui ont constitué les cellules logistiques et ce, quel que soit leur niveau de responsabilité », a détaillé la procureure. Les investigations ont ainsi permis d’établir qu’une « organisation criminelle déterminée » s’était déployée autour de Mohamed Amra. Autant dans la préparation que dans l’action même le jour de l’évasion: « équipe de voleurs, de logisticiens, de guetteurs, l’équipe même du commando… », a énuméré Laure Beccuau.
Les enquêteurs de police judiciaire mobilisés, au premier rang desquels l’Office central de lutte contre le crime organisé (OCLCO), exploitent actuellement les « nouveaux éléments » recueillis en perquisition. Les investigations sont instruites par la Junalco.
(Avec l’AFP)
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