<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Soudain, le forcené tire dans le visage de Christian Prouteau

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26 mars 2022 | Opérationnel

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Soudain, le forcené tire dans le visage de Christian Prouteau

par | Opérationnel

Le 28 octobre 1980. Je suis en permission dans mes montagnes des Alpes, pour ma grande passion, la chasse au chamois, à l’approche et à l’arc. J’avance avec une infinie précaution, voir sans être vu ni senti. Ma tenue de camouflage m’intègre dans le paysage de la haute montagne. J’arpente une zone entre 2 500 et […]

Le 28 octobre 1980. Je suis en permission dans mes montagnes des Alpes, pour ma grande passion, la chasse au chamois, à l’approche et à l’arc. J’avance avec une infinie précaution, voir sans être vu ni senti. Ma tenue de camouflage m’intègre dans le paysage de la haute montagne. J’arpente une zone entre 2 500 et 3 000 mètres d’altitude. Chasse silencieuse.

Avec mes jumelles, j’explore le moindre recoin où peut se dissimuler un vieux bouc. Repu d’herbe fraîche, il digère en se reposant, guettant le moindre mouvement, le plus petit bruit, la plus petite odeur de l’homme. Pour moi, toujours avancer contre le vent… Je dois impérativement tirer à une distance inférieure à 20 mètres, et seulement les vieux mâles stériles.

Ma flèche de chasse est dotée d’une pointe formée par quatre lames de rasoir. Elle sera décochée de mon arc à poulies Compound ultrapuissant, et elle ira en plein cœur de ma cible, provoquant la mort instantanée, sans le bruit assourdissant d’une détonation de carabine faisant trembler et sursauter hommes et animaux, avec un écho résonnant dans toute la vallée.

Retour à la réalité. Mon beeper sonne. Je dois rappeler Prouteau en urgence.

– CP : Salut Paul, juste pour t’avertir qu’il y a un forcené à Pauillac, en Gironde, près de Bordeaux. Il y a des blessés graves. Nous partons.

– Moi : Tu veux que je vienne ?

– CP : Non, je voulais juste te prévenir. S’il y a une autre mission, c’est pour toi.

– Moi : Merci Christian. Sois prudent. Les forcenés sont toujours les individus les plus dangereux.

Après tant d’interventions réussies, nous nous croyons invincibles. Prouteau plus que tout autre…

A Pauillac, le forcené en question avait tiré sur l’huissier qui tentait de faire une saisie, mais aussi sur le gendarme qui l’accompagnait. Les badauds sont déjà en nombre pour assister à l’assaut du GIGN. Pour eux, c’est mieux qu’au cinéma, mieux qu’à la télé… La presse est aussi présente sur les lieux, FR3 a l’autorisation de filmer l’intervention.

Prouteau en rajoute. Il maîtrise… La nuit vient de tomber. Cela se présente bien. Prouteau applique la check-list, rubrique « Forcené ayant fait usage de son arme, deux blessés graves. » Prudemment, il fait la reconnaissance des lieux avec les chefs de groupe. Christian n’a pas peur, il est « invincible ». Il a donné l’ordre aux nombreux gendarmes présents d’établir un périmètre de sécurité mieux protégé, plus resserré avec la nuit.

La caméra de FR3 était autorisée par Prouteau à suivre son déplacement. Elle tourne en permanence…

Prouteau adorait les journalistes, il avait la manière de leur parler, de les séduire, avec talent, de les captiver. Ces derniers restaient béats d’admiration devant un vrai héros. Surtout les femmes journalistes…

Christian peur de rien.

Il ne portait ni gilet pare-balles, ni casque de protection, pas de bouclier. (Moi, non plus. En intervention, j’avais horreur de ces équipements que j’avais baptisés « Azincourt ». Je préférais garder ma souplesse et ma rapidité.) Suspense garanti. Christian avance lentement vers la porte-fenêtre, les bras légèrement décollés du corps, mains ouvertes pour bien montrer qu’il n’avait pas d’arme, qu’il venait parler. Le forcené voit l’armada se rapprocher de lui. Il a peur. Il pense à un piège, la tension grimpe.

Embusqué derrière sa porte vitrée il hurle :

– Reculez ou je vais tirer !

L’équipe télé est à moins de 20 mètres de Prouteau. L’éclairagiste allume son projecteur de 2 000 watts. Le forcené est ébloui, il se sent agressé, en danger. Christian est au centre de la lumière. Il est éclairé comme un sapin de Noël dans une nuit noire.

Le forcené tire sur Christian, qui se trouve à moins de 10  mètres de lui avec son fusil de chasse juxtaposé, calibre 12.

Coup de feu assourdissant dans le silence de la nuit. Une longue flamme jaillit du canon. 54  plombs atteignent Christian en pleine tête. Il s’écroule en marmonnant : « Ne le tuez pas. »

J’arriverai au Val-de-Grâce avant Christian.

Dans le couloir de l’hôpital, avant son opération, je lui retirai deux plombs avec la pince à épiler de mon couteau suisse. Ces deux plombs n’avaient pas pénétré profondément dans le front.

J’étais furieux après lui. Je me rappelais les sages conseils du général Bigeard. En visite officielle au GIGN comme secrétaire d’Etat à la Défense, il m’avait félicité personnellement pour la démonstration spectaculaire que nous avions réalisée pour lui. A part, il me dit : « Mon petit Barril, tu prends trop de risques, tu vas te casser la gueule. »

La règle numéro 1 du para : toujours se protéger, pour pouvoir continuer le combat : « Le para mort au combat est un con qui n’a pas su prendre les bonnes mesures pour survivre. »

Pour Christian, ses blessures étaient spectaculaires : les yeux n’étaient pas touchés ; les cordes vocales, oui.

Christian en conservera une voix grave qui s’ajoutera à son charme irrésistible, plus une belle décoration.

Les hommes du GIGN ne donneront pas l’assaut.

Calmement, ils encerclent le bâtiment. Au petit jour, ils entendirent un coup de feu. Le forcené s’était donné la mort. L’ordre de Christian – « Ne le tuez pas » – avait été respecté.

A noter : Prouteau a reçu 54 plombs tirés a moins de 10  mètres, alors que la gerbe totale est de plus de 100  plombs. Juridiquement, pour l’utilisation d’une cartouche de chevrotine (9  à 28 plombs), les magistrats retiennent «  l’intention de tuer  » du tireur. Alors que, s’agissant d’une cartouche de type 1 ou 2, chargée de grenailles, la justice ne retient pas cette intention. Juridiquement, le forcené n’avait donc pas eu l’intention de tuer Christian…

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