Les zones de compétence Police/Gendarmerie dans le viseur de la Cour des comptes

Photo : Un motocycliste de la Gendarmerie et un fonctionnaire de la Police nationale lors d'une opération de contrôle conjointe en Bretagne. (Photo: J.Groisard/Dicom-MI)

15 janvier 2025 | Opérationnel

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Les zones de compétence Police/Gendarmerie dans le viseur de la Cour des comptes

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C'est un serpent de mer qui refait régulièrement surface : la répartition des zones de compétence Police/Gendarmerie. Une organisation figée depuis plus de 80 ans, source de nombreux dysfonctionnements et d'une utilisation inefficace des moyens publics, relève la Cour des comptes.

Organisation territoriale héritée de Vichy, situations aberrantes dans des métropoles, petites circonscriptions de Police aux effectifs disproportionnés: la Cour des comptes énumère, dans un rapport, les dysfonctionnements majeurs dans la répartition des zones de compétence entre Police et Gendarmerie.

L’origine de ces incohérences remonte en effet à 1941. À cette époque, « le régime de Vichy, aspire à se doter d’un corps de Police dont il puisse s’assurer de la loyauté. Il généralise l’étatisation de la Police dans les communes de plus de 10.000 habitants », rappellent les magistrats de la rue Cambon. Cette organisation n’a quasiment pas évoluée depuis: « En 80 ans, environ 1.000 communes (sur les 36.000 communes françaises d’alors) ont en effet changé de zone de compétence » et « aucun transfert de zone n’est intervenu depuis 2014″.

Incohérences historiques des zones de compétence

Les métropoles sont particulièrement touchées par ces incohérences historiques. Le rapport révèle que « 58% des 970 communes intégrées aux 22 métropoles sont en zone Gendarmerie (ZGN), représentant 13% de leurs habitants ». Cette proportion atteint même « 67% pour les communes et 20% pour les habitants des métropoles » en excluant celles « du Grand Paris ».

Parallèlement, la situation des petites circonscriptions de Police est particulièrement préoccupante. « Plus d’une circonscription de Police sur dix couvre une population inférieure à 20.000 habitants ». Certaines connaissent une situation critique. La Cour des comptes relève que « 76 circonscriptions doivent bénéficier d’effectifs-socles renforcés » pour simplement maintenir un fonctionnement minimal.

Le rapport relève également les problèmes révélés lors des violences urbaines de l’été 2023. « Entre le 27 juin et le 10 juillet 2023, 66 départements ont été concernés par des faits de violences urbaines. De très nombreuses circonscriptions – pas seulement les plus isolées – se sont trouvées en difficulté pour faire face aux émeutiers avec leurs propres effectifs ».

Dispositifs de contournement

Pour pallier ces difficultés, les autorités ont de plus en plus recours à des dispositifs de contournement. Exemple: la « coordination opérationnelle renforcée entre les agglomérations et les territoires » (Corat). Son utilisation est en forte hausse, « au bénéfice presque exclusif de la Police (852 fois sur 858 depuis 2019)« . Mais comme le souligne la Cour, « cet outil ne saurait se substituer au transfert de zones et à l’affectation permanente du personnel en fonction des besoins ».

Face à ces dysfonctionnements, les tentatives de réforme se heurtent en effet à de nombreux obstacles. « Les freins à une réécriture d’ampleur de la carte sont multiples. Ils tiennent aux réticences des élus locaux, aux enjeux d’équilibre entre les forces, à la sensibilité de ce sujet au sein des forces de sécurité intérieure et pour les organisations syndicales. »

La montée en puissance des polices municipales ajoute une nouvelle dimension à cette problématique. « Au 31 décembre 2022, la France comptait 27.131 policiers municipaux répartis dans 4.558 communes et groupements de communes ». Ils constituent de fait une « troisième force » qu’il faut désormais prendre en compte dans la réflexion sur l’organisation territoriale de la sécurité. La Police et la Gendarmerie comptent au total 253.300 fonctionnaires civils et militaires.

Recommandations de la Cour des comptes

La Cour des comptes formule plusieurs recommandations concrètes, notamment le transfert à la Gendarmerie des « 76 circonscriptions de Police jugées vulnérables » et le transfert en zone Gendarmerie de « l’ensemble des communes des départements ruraux et faiblement peuplés ». Elle préconise également d’abandonner la logique des transferts par vagues au profit « d’une approche d’ajustement continu« .

La réforme apparaît d’autant plus urgente que de nouvelles organisations se mettent en place, comme la création au « 1er février 2024, des directions départementales ou interdépartementales de la Police nationale ». Ou le déploiement du « plan 200 brigades » qui a conduit à créer « 239 nouvelles » brigades de gendarmerie. Sans révision préalable de la carte, ces réformes risquent de « figer durablement » une situation déjà problématique.

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Les exemples de Toulouse et de Saint-Gaudens

L’exemple de Toulouse est particulièrement révélateur. Sur les 37 communes de la métropole, 33 sont en zone Gendarmerie. La Cour des comptes dénonce plusieurs incohérences majeures: « Le parc des expositions et centre de conventions de Toulouse Métropole est intégralement situé en zone Gendarmerie ». Tout comme « un centre de rétention administrative (CRA), du ressort de la Police. Plus problématique encore, alors que la Police est compétente sur les lignes de métro, plusieurs stations (Balma, Gramont, Ramonville) sont situées en zone Gendarmerie. Dans ces cas, le sous-sol relève de la Police et la surface de la Gendarmerie. Une situation qui ne devrait pas s’améliorer avec le prolongement de la ligne C du métro et la création de nouvelles stations en zone Gendarmerie.

Carte des zones de compétence Police et Gendarmerie dans la métropole de Toulouse. (Issue du rapport de la Cour des comptes de janvier 2025)

Carte des zones de compétence Police et Gendarmerie dans la métropole de Toulouse. (Issue du rapport de la Cour des comptes de janvier 2025)

« Un frein à toute opération de redéploiement »

Lors d’une tentative de réforme en 2020, le Premier ministre avait annoncé un redécoupage des zones à l’occasion de la signature du premier contrat de sécurité intégrée. Mais rien n’a changé. « Trois ans plus tard, aucune modification de la carte n’est intervenue au sein de la métropole toulousaine », constate la Cour. D’ailleurs, la Gendarmerie « a conduit deux projets de construction de caserne dans des communes limitrophes de Toulouse, Balma à l’est et Cugnaux au sud-ouest ». Des investissements conséquents – « a minima 80 millions d’euros, dont 50 millions pour le projet de Balma » – qui risquent de « constituer un frein à toute opération de redéploiement de la carte ».

Cette situation n’est pas unique. Dans six métropoles françaises, la zone Gendarmerie (ZGN) représente « plus des trois quarts des communes et plus du quart de la population ». Selon la Cour des comptes, cette répartition conduit à « une articulation Police-Gendarmerie peu lisible autour des grandes agglomérations ». La logique de métropolisation impose pourtant de repenser cette organisation territoriale. Car les phénomènes de délinquance doivent « être appréhendés à l’échelle de ces aires urbaines nouvelles et non des seules communes », selon les magistrats de la rue Cambon.

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Le cas des petites circonscriptions en zone Police

Cette situation complexe dans les métropoles contraste avec celle des petites circonscriptions de Police, dont certaines peinent à assurer leurs missions. La Cour des comptes révèle qu’« une circonscription sur dix couvre une population inférieure à 20.000 habitants (29 commissariats de Police (CPN) dont sept chefs-lieux de département) ». Plus surprenant encore, « l’une d’entre elles est même classée par l’Insee dans la catégorie des bourgs ruraux ».

Les dix plus petites circonscriptions, au regard de la population couverte, du ressort d'un commissariat de la Police nationale. (Capture d'écran / rapport Cour des comptes janvier 2025)

Les dix plus petites circonscriptions, au regard de la population couverte, du ressort d’un commissariat de la Police nationale. (Capture d’écran / rapport Cour des comptes janvier 2025)

Le cas de la sous préfecture de Saint-Gaudens (Haute-Garonne) illustre ces difficultés. Cette circonscription, « douzième plus petite de France en termes de population couverte (quatre communes totalisant 13.949 habitants) » reste en effet dans une situation préoccupante. « Située à 97km de Toulouse et très isolée, la circonscription de Police ne peut être renforcée en cas de besoin. Elle compte 50 fonctionnaires, effectif minimal pour assurer un fonctionnement 24 heures sur 24 mais manifestement sous-employés ». La Cour précise que « sur l’ensemble de l’année 2022, le commissariat n’a effectué que neuf interventions par effectif de voie publique suite à appel au 17 (contre 50 par jour et par agent à Toulouse) ».

L’organisation actuelle de la Police nationale pose donc question. La Cour souligne qu’elle « repose sur des circonscriptions qui doivent être en mesure d’exercer leurs missions de manière autonome. Ce mode de fonctionnement, adapté aux territoires densément peuplés à fort niveau de délinquance, induit un volume incompressible de personnel, quelle que soit la taille de la circonscription ou son niveau d’activité ».

Matthieu Guyot, avec PMG

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