Pendant seize ans, il a servi au sein de l’une des unités les plus prestigieuses de la Gendarmerie nationale, le GIGN (Groupe d’intervention de la Gendarmerie nationale). Frédéric Gallois est depuis passé au privé, après sa retraite de l’Arme en 2009. Mais il garde un œil attentif sur son ancienne unité qu’il a commandée après y être entré comme lieutenant, avant d’être chef d’état-major du GIGN nouvelle formule après sa réforme en 2007. Pour L’Essor, il analyse la proposition du député Jean-Michel Fauvergue, approuvée récemment par le ministre de l’Intérieur, de créer un commandement unique des forces d’intervention.
L’Essor – L’ancien patron du Raid (Recherche, assistance, intervention, dissuasion), le député Jean-Michel Fauvergue (LREM, Seine-et-Marne), propose de créer un commandement unique pour les forces d’intervention, une idée soutenue par le ministre de l’Intérieur. Vous qui avez été chef du GIGN, que pensez-vous de cette proposition ?
Frédéric Gallois – C’est difficile d’avoir un avis tranché sur cette question, car il faut d’abord rechercher l’intérêt général. Nous avons la chance actuellement d’avoir un député ancien chef d’une force spéciale d’intervention. Ce n’est pas une personnalité qui a une vision éloignée de ces structures : cela devrait donc permettre d’éviter des solutions contre-productives.
Néanmoins, j’estime que cette proposition n’est pas une bonne solution. Il n’y a pas de problème de commandement des unités. Elles travaillent sous les ordres de chefs légitimes. On ne peut pas les dessaisir de leur commandement quotidien. Ces chefs sont au contact, s’entraînent avec leurs agents… On ne peut pas les remplacer par un commandement éloigné. Ce serait mal vécu par les troupes et contre-productif : ces hommes et femmes ont besoin de se reconnaître dans leur chef.
Il me semble difficile voir dangereux de mettre sous tutelle des unités spéciales : personne ne peut remplacer le chef engagé dans le quotidien de ses hommes, conscient des forces et faiblesses de chacun, maîtrisant parfaitement les capacités opérationnelles, pour ordonner un assaut.— Frédéric Gallois (@Gallois_Gallice) 29 novembre 2017
L’Essor – A la place de ce commandement unique, que proposeriez-vous ?
Frédéric Gallois – Ce qui pose un souci, c’est la répartition des missions entre les services sur la question du contre-terrorisme. Je partage l’esprit de la proposition de Jean-Michel Fauvergue : il s’agit, globalement, de centraliser et d’optimiser l’emploi des forces d’intervention, dans une période où la menace reste très élevée. Ce n’est pas satisfaisant aujourd’hui. Le GIGN n’est en effet pas engagé à 100% de ses capacités : sur le contre-terrorisme, j’estime qu’on ne l’utilise qu’à moins de 50% !
Le schéma national d’intervention, en 2016, va dans le bon sens car il permet de décloisonner les unités lors d’une situation d’urgence. Mais il faut l’autorisation du chef d’unité compétent, des directions générales… Cela fait beaucoup de décideurs en cas d’urgence. Surtout, on autorise ce décloisonnement mais sans le préparer, en faisant par exemple des entraînements du GIGN en zone police et du Raid en zone gendarmerie.
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Nous pouvons imaginer d’aller plus loin, sur la seule thématique du contre-terrorisme, en regroupant ponctuellement les compétences quelle que soit la zone géographique. A travers l’Unité de coordination des forces d’intervention (Ucofi), nous pourrions mettre en place une sorte d’état-major de préparation opérationnelle. Il serait chargé de préparer les trois unités, la BRI (Brigade de recherche et d’intervention), le GIGN et le Raid à travailler ensemble sur des scénarii, comme par exemple une prise d’otages de masse ou multiple dans Paris. Nous devons travailler sur la constitution d’un véritable centre de planification et de préparation opérationnelle, à l’instar du Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) des Armées. Ce centre pourrait organiser des entraînements partagés, la gestion des moyens matériels interministériels, au profit de la manœuvre d’ensemble, pour ainsi travailler à froid l’engagement commun avant la crise. La capacité de contre-terrorisme doit devenir interservices et à compétence nationale.
L’Essor – Vous dites que le GIGN est employé à moins de la moitié de ses capacités en matière de contre-terrorisme. Cela représente-t-il une menace pour l’avenir de l’unité ?
Ce qui est menacé, c’est la préservation des capacités opérationnelles rares et spécifiques que détient le GIGN. A force de développer ces capacités sans les engager, il y a un risque de gâchis. Clairement, c’est regrettable. En effet, en cas de crise, on se prive de compétences parfois uniques ou complémentaires – la particularité du GIGN est d’être à la fois une force civile et militaire – qui pourraient dans certaines situations extrêmes, apporter une capacité supplémentaire décisive.
Le GIGN n’est pas aujourd’hui employé par les services de renseignement, comme la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) qui fait systématiquement appel au Raid. Ce service de renseignement ne dépend plus pourtant de la direction de la Police nationale et devrait ainsi travailler avec l’ensemble des outils disponibles. Pour des raisons historiques ou corporatistes on met de côté le GIGN.
Cette mise à l’écart pourrait pousser à la faute lors de la conduite d’une crise par le politique. Nous l’avons effleurée avec le Bataclan, même si j’estime que la polémique sur le non-emploi du GIGN n’avait pas lieu d’être. Le citoyen ne pourrait accepter un mauvais usage de moyens de secours et d’intervention coûteux et essentiels à cause d’arguties corporatistes ou simplement par manque d’anticipation ou de planification conjointes.
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Propos recueillis par Gabriel Thierry
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