Le parquet de Paris a demandé le renvoi devant le tribunal correctionnel deux anciens gendarmes de la section de recherches de Paris dans une affaire d’abus de confiance au profit de deux indicateurs des militaires. Pour qu’un procès ait lieu, cette décision devra cependant être confirmée par la juge d’instruction en charge du dossier. Cette information, révélée le 27 novembre par Le Journal du dimanche, a été confirmée par L’Essor auprès des avocats des deux gendarmes, Me Rodolphe Bosselut et Lionel Escoffier.
De fausses ventes immobilières
Selon le procureur, ces deux enquêteurs de la prestigieuse unité de recherches auraient franchi la ligne jaune dans leurs relations avec leurs indicateurs. Ils auraient en effet aidé ces derniers à monter une escroquerie en se faisant passer pour des avocats, ce qui a valu aux militaires d’être mis en examen pour "complicité d’abus de confiance, complicité de faux en écriture publique, et usage et usurpation de titre". Les gendarmes sont suspectés d’avoir donné du crédit à de prétendues ventes immobilières par adjudication judiciaire dont une partie de la somme était versée en liquide.
Ce service rendu à des indicateurs l'aurait été en contrepartie d'informations sur un important trafic de stupéfiants démantelé en 2012 après un an d'enquête. Les trafiquants allaient chercher de la cocaïne aux Pays-Bas avant de la ramener dans un atelier de coupe à La Plaine-Saint-Denis.
Deux saisies de drogue par les gendarmes en quelques heures en Occitanie
En un an, plusieurs dizaines de kilos de cocaïne pure ont ainsi été transformés dans ce local que les gendarmes avaient équipé d'un dispositif de capture de son et de vidéo. Les peines infligées en première instance témoignent de l’ampleur de ce trafic puisque Mahdi D. et Mohamed H. ont écopé respectivement de 14 et 12 années années de prison ferme, une peine confirmée en appel pour le premier, tandis que l'appel du second était toujours pendant, les dossiers ayant été disjoints en seconde instance.
L'analyse du parquet n’est pas du tout partagée par les avocats des gendarmes qui voient au contraire dans la mise en cause de leurs clients une manœuvre pour décrédibiliser l’enquête sur le trafic de stupéfiants.
"Ce dossier est totalement instrumentalisé", s’insurge ainsi Me Bosselut, qui défend Eric T., à l’époque major et directeur de l’enquête sur le trafic de stupéfiants. "La personne qui dépose plainte contre les gendarmes, Hatem E., est le cousin de l’un des deux trafiquants. Par ailleurs, les deux indicateurs ont sans doute mis en place une escroquerie, mais le plaignant y a aussi participé puisque c’est lui qui allait récupérer l’argent des victimes".
"Il y a une tentative d'affaiblir l'enquête par tous les moyens"
Une vision du dossier partagée par Me Lionel Escoffier, défenseur d’Emmanuel B., à l’époque adjudant-chef et sous les ordre d’Eric T. "La procédure de stupéfiants mène tout car il y a de grosses peines de prison et pécuniaire en jeu. Il y a donc une tentative d’affaiblir l’enquête par tous les moyens. Certaines choses étaient d’ailleurs troublantes dans ce dossier et nous avons dû saisir le bâtonnier de Paris pour obtenir le déport d'un avocat (Me Yassine Bouzrou NDLR)".
En effet, ce dernier était "l’avocat des trafiquants qui mettaient en cause l’impartialité des enquêteurs et la légalité des mesures d’enquête, mais il était en même temps l’avocat d’Hatem E., cousin de l’un de ces trafiquant qui, opportunément, dépose une plainte pour dire qu’il y a une collusion entre les gendarmes et leurs sources", décrypte Me Bosselut, qui ferraille par ailleurs avec Me Bouzrou dans l’affaire Adama Traoré.
Si l'avocat d'Eric T. considère la plainte "opportune", c'est qu'elle date d'avril 2015 alors que les faits qui y sont dénoncés auraient été commis entre 2010 et 2012 et que le procès d'appel des trafiquants de stupéfiants devait se tenir le 21 mai 2015. Dans son arrêt condamnant Mahdi D., la cour a d'ailleurs relevé dans un bel euphémisme la "tardivité étonnante" de ces accusations.
"Saper l'enquête"
Me Bosselut estime que l’instrumentalisation de la plainte se manifeste également par le fait "les deux gendarmes sont cités comme témoins par Mohamed H." , pour son procès en appel. Celui-ci devait se tenir le 12 octobre 2022 mais a été renvoyé en septembre 2023 en raison d'une blessure de la présidente. Selon l'avocat, l'objectif "est de dire que les informations recueillies par les sources sont polluées par les faits dénoncés dans la plainte afin de saper l'enquête".
Suite à cette plainte, les gendarmes ont été mis en examen en 2016. Une mesure assortie dans un premier temps d’un contrôle judiciaire strict avec interdiction d’exercer et privation de leurs prérogatives d’officier de police judiciaire. Rapidement de premiers assouplissements sont intervenus avant une mainlevée totale en 2019. Si la carrière des gendarmes ne s’est pas arrêtée – depuis les faits, Emmanuel B., 52 ans, est devenu officier et Eric T., 56 ans, major échelon exceptionnel – elle a néanmoins connu un ralentissement et certaines pertes de revenus, estiment leurs deux avocats.
Désormais, l’affaire est entre les mains de la juge d’instruction.