ENTRETIEN AVEC HÉLÈNE GAUDIN
L’Essor. – Quel est votre point de vue sur cet arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne ?
Hélène Gaudin. – Etant européaniste, j’ai peut-être tendance à avoir un avis bienveillant sur les arrêts de la Cour de justice. Néanmoins, celui-ci me paraît extrêmement nuancé, tout en dentelles. La Cour de justice a repris une jurisprudence constante depuis 1986, avec l’application de certaines directives – temps de travail, en l’occurrence, mais aussi égalité hommes femmes – aux forces armées.Elle a adapté cette jurisprudence en répondant principalement aux préoccupations de la France. D’un côté, la directive s’applique par principe, et il faut bien prendre en compte les droits des personnels dans les forces armées, et, de l’autre, il peut y avoir des exceptions au nom de la sécurité publique, qu’il faut déterminer au cas par cas. Pour moi, l’arrêt de la Cour, c’est du cousu main, pas du prêt-à-porter.
Que pensez-vous des tribunes publiées suite à cet arrêt ?
J’ai été un peu choquée par ces réactions très tranchées, qui s’inscrivent dans une démarche davantage politique (lire p. 20). A la limite, si on a des désaccords, on repose une question préjudicielle à la Cour pour les faire entendre, mais on ne procède pas de la sorte. C’est d’autant plus gênant que la France va prendre la présidence de l’Union incessamment, et que c’est largement à sa demande que cette directive a été rédigée.J’avais demandé pourquoi la France n’y avait pas intégré une exception sur les forces armées si cela posait tant de problèmes, et la réponse a été : « On n’avait jamais pensé que cela s’appliquerait à elles ». Cela montre une méconnaissance du droit européen, et je suis gênée qu’un Etat comme la France proteste sur cette base.
Si une erreur a été commise, il est peut-être temps de la réparer ?
Certes, mais l’arrêt répond en partie aux préoccupations de la France. Il ne s’agit même pas d’un problème de paiement des heures d’astreinte, car la Cour dit que c’est aux législations nationales de voir comment on les paye. Il me semble qu’elle laisse suffisamment d’exceptions pour pouvoir avancer.
Dans quel contexte européen intervient cette décision ?
En ce moment, le droit de l’Union fait l’objet de conflits assez violents. Sans parler d’Etats comme la Pologne ou la Hongrie, des contestations contre la jurisprudence de la Cour viennent désormais d’Etats historiques.Il y a une volonté politique dans la critique de la Cour de justice pour qu’elle prenne plus en considération les priorités des Etats, parce que le droit de l’Union touche de plus en plus à des matières politiquement sensibles. Il est vrai qu’il y a aussi une certaine forme de désenchantement au niveau des politiques. L’Europe est dans une période de tempête, mais j’espère que cela passera car, malgré tous les défauts de l’Union, mieux vaut être dedans que dehors.
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La bio d'Hélène Gaudin :
Spécialiste du droit européen, Hélène Gaudin est professeure de droit public à l’université Toulouse I-Capitole, où elle dirige l’Institut de recherche en droit, européen, international et comparé (Irdeic). Selon elle, la souveraineté et la sécurité nationales ne sont pas remises en cause par cet arrêt, qui répond au contraire, principalement, aux préoccupations de la France.