Des gendarmes homosexuels ? Il y en a sûrement, mais on ne les voit pas. L’homosexualité ne serait-elle tolérée en Gendarmerie que tant que les personnes concernées restent discrètes ? Aujourd’hui, de plus en plus, les gendarmes homosexuels osent s’affirmer. En parlent à leurs collègues de l’unité, déclarent un Pacs ou un mariage, et emménagent ensemble.
Dans un mouvement qui s’est accéléré avec l’adoption du mariage pour tous, la société a évolué. Plusieurs gendarmes ont accepté de nous raconter la réalité de leur vie au sein de l’Institution. Ils dessinent un tableau moins noir que celui auquel on pourrait s’attendre.
La première décision que doit prendre un(e) homosexuel(le) qui intègre l’Institution, c’est soit de vivre ouvertement son orientation sexuelle, soit de la cacher.
Les gendarmes qui ont répondu à L’Essor ont généralement plus d’une dizaine d’années d’expérience. Ils sont donc entrés en Gendarmerie à une époque où il était encore plus difficile d’assumer son homosexualité.
"Il y a eu une évolution énorme en vingt ans", analyse Guillaume (*). A l’époque, il a 23 ans et n’accepte "pas forcément" son orientation sexuelle lorsqu’il devient sous-officier. Et ce n’est pas le premier entretien avec son commandant de compagnie qui va l’inciter à abandonner sa prudente discrétion : "Il m’a dit qu’il fallait que je me marie à l’église", se souvient-il.
Pour Clémentine, gendarme motocycliste, la question de se dévoiler ne s’est jamais posée. "Je fais partie des personnes qui ne s’affichent pas, mais dont on sait dès le départ qu’elles sont homosexuelles", note-t-elle. Elle évolue depuis longtemps dans le milieu très masculin de la moto. Dans cette technicité, sa compétence – elle a fait de la compétition – lui a valu le respect de ses camarades. Dans ce travail "physique, rustique et contraignant", on est en effet jugé sur ses performances.
Rentré comme gendarme auxiliaire en 2000, Nicolas "en impose physiquement", se sait plutôt aidé par sa "répartie", et a tenu à témoigner "pour montrer qu’il ne fallait pas avoir honte de ce que l’on est". A ses débuts, il choisit pourtant de faire plus ou moins profil bas. "Je vivais ma vie sans rendre de comptes à personne, mais sans me cacher non plus". Il précise toutefois : "Après, j’ai la chance de ne pas être efféminé", avant de se reprendre : "Enfin… la chance ?". Toujours cette envie de discrétion, de se fondre dans un moule.
"Les réactions de mes collègues ont été formidables, sans préjugé. Cela m’a permis de prendre confiance en moi."
Malgré l’évolution des mœurs, certains gendarmes préfèrent toujours rester discrets sur leur homosexualité. Ainsi Maxime, entré en Gendarmerie il y a seulement trois ans, a préféré dire qu’il était "célibataire à l’ensemble de [ses] collègues, afin de ne pas aborder la question et de ne pas dévoiler [son] homosexualité dès [son] arrivée". Il souhaitait ainsi "éviter les préjugés, et surtout éviter que l’on me juge sur ma vie personnelle, en montrant à mes collègues mes qualités professionnelles et humaines".
Ce choix n’a été que temporaire. "Aujourd’hui, plusieurs de mes collègues savent que je suis homosexuel, ils me soutiennent et leurs réactions ont été formidables, sans préjugé. Cela m’a permis de prendre confiance en moi et de vivre sereinement, sans avoir à me cacher."
Guillaume a également été aidé par le soutien sans ambiguïté de sa hiérarchie directe. "Mon ancienne commandante de compagnie avait été mise au courant de mon orientation sexuelle et m’avait rassuré. Elle m’avait alors dit qu’elle mettait au défi quiconque, sous-officier ou officier, de tenir des propos homophobes à l’encontre d’un personnel homosexuel, et n’aurait pas hésité à prendre des sanctions disciplinaires à leur encontre."
Emménager avec son conjoint, une étape importante
Pour Nicolas, c’est lorsque les choses sont devenues sérieuses avec son compagnon qu’il a officialisé sa relation. "Il est venu emménager chez moi. J’ai donc pris rendez-vous avec mon commandant de brigade de l’époque pour lui en rendre compte. Je ne faisais pas le fier, mais je savais qu’il était bien", se souvient le sous-officier. Son patron lui demande s’il souhaite qu’il fasse "une réunion avec tout le monde pour l’annoncer". Une initiative qui permet en effet de mettre les collègues au courant, tout en manifestant un soutien sans ambiguïté.
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La compréhension de la hiérarchie peut cependant se heurter à une évolution des mœurs vue comme trop rapide. Lorsque Nicolas a annoncé à son chef qu’il allait être papa et que la mère était une autre gendarme de l’unité, homosexuelle elle aussi, celui-ci n’a pu se retenir de lui demander : "Mais qu’est-ce que vous êtes en train de faire ?" Nicolas lui a alors rétorqué qu’il voulait simplement l’informer, et pas lui demander son avis. "Plus tard, il s’est excusé et m’a dit que j’avais eu raison de l’envoyer balader."
Le chef de Guillaume, lui, a été "très bien" lorsqu’il a choisi d’officialiser une relation devenue sérieuse en déclarant son Pacs. "Je n’avais d’ailleurs pas d’appréhension, car je savais à qui j’avais affaire. Je lui ai demandé une forme de discrétion par rapport à cela, car je ne souhaitais pas que ce soit un sujet de conversation."
Dans un premier temps, seuls le commandant d’unité, le secrétaire et le chef direct de Guillaume sont donc au courant. D’ailleurs, lorsque le commandant a reçu le document administratif annonçant le Pacs de Guillaume, il est "venu me dire qu’il y avait une erreur sur la fiche", sourit le sous-officier.
Petit à petit, il se confie, certains collègues l’apprennent. Lors d’une nouvelle mutation, les rumeurs le précédent. Le commandant d’unité prend alors sur lui de réunir ses personnels pour leur confirmer que le sous-officier qui arrive est pacsé et vit avec un homme. Depuis, "tout se passe très bien, mes collègues sont ouverts, il n’y a aucun souci", assure-t-il.
"J’ai toujours ressenti de l’homophobie. S’il fallait que l’on s’embrouille à chaque fois, on n’en sortirait pas."
Plus rarement, le commandant peut avoir un comportement déplacé. Pour Clémentine, ce fut le cas lors d’un pot de départ – "en civil", tient-elle à préciser. En arrivant dans la pièce, son chef demande qui est sa conjointe. Les collègues de Clémentine expliquent qu’il s’agit de sa femme. "Il a alors lancé : ”Quel gâchis”", se souvient Clémentine, qui voit là le seul comportement déplacé auquel elle ait été "confrontée en dix-sept ans de service".
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Pour autant, elle ne s’offusque guère, contrairement à ses collègues. "Imagine, s’il avait dit cela à un mec marié", s’agace l’un d’entre eux. Mais Clémentine a choisi de ne rien dire. "Je suis homosexuelle depuis toujours, j’étais amoureuse de ma maîtresse", s’amuse-t-elle avant de prendre un ton plus sérieux. "J’ai toujours ressenti de l’homophobie, à l’école ou dans la rue, et j’y suis habituée. S’il fallait s’embrouiller à chaque fois, on n’en sortirait pas."
Certaines réactions montrent néanmoins que les mœurs n’ont pas évolué pour tout le monde. Ainsi, Nicolas se souvient de ses discussions avec des mobiles croisés lors de renforts de sécurité générale en station de ski. "Quand ils me demandent "Tu es avec quelqu’un" et que je réponds "Oui, il s’appelle Antoine", je vois bien que le visage de certains d’entre eux se ferme."
"C’est la société qui est ainsi, pas l’Institution"
Après quelques interventions houleuses, les mêmes se sentent parfois obligés de préciser à Nicolas, en forme de brevet d’intégration : "Tu es gay mais quand il faut y aller, on peut compter sur toi." "Je ne sais pas ce qu’ils croyaient, que j’allais y aller en robe et en talons", lance-t-il dans un éclat de rire.
Des remarques qui montrent que les gendarmes homosexuels ont souvent plus à prouver que leurs homologues hétérosexuels. Cette situation touche cependant moins les femmes, qui bénéficieraient de plus de mansuétude.
"Pour elles, je pense que c’est beaucoup plus facile que pour les hommes", estime Nicolas. Une analyse partagée par Clémentine elle-même. "C’est la condition de la femme qui est problématique en Gendarmerie, qu’elle soit homosexuelle ou non. Moi, en tant que femme, je dois faire mes preuves, je suis testée, retestée, et je dois toujours en faire plus qu’un homme."
Une question que Nicolas compare aux difficultés d’intégration rencontrées par les diverses minorités. "Que l’on soit femme, homo, black ou rebeu, il faut toujours en faire plus, prouver plus que les autres. C’est la société qui est ainsi, pas l’Institution."
Matthieu Guyot
(*) Tous les prénoms ont été modifiés.