<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’affaire Jonathann Daval

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Par Gabriel Thierry – Illustration Diamatita

 

Ce vendredi 27 octobre 2017, le téléphone d’Isabelle Fouillot sonne enfin. C’est sa fille, Alexia. Elle doit passer chez elle ce soir à Gray, en Haute-Saône, une petite ville de 5000 habitants entre Dijon et Besançon. Sa seconde fille, Stéphanie, et son mari, Grégory, seront également là. Ils viennent de Paris avec leur jeune enfant. Soit des retrouvailles familiales qui ont un air de Noël avant l’heure, en ce week-end de la Toussaint. Tout s’annonce à merveille. Seule ombre au tableau, Alexia a fait un malaise dans la matinée. C’est peut-être ces baies de Goji qu’elle a avalées dans son muesli nappé de fromage blanc ? Quoi qu’il en soit, Alexia se sent mieux après cette matinée difficile, elle apportera le dessert, dit-elle.

Un peu plus tard, en fin d’après-midi, après quelques longueurs dans la piscine, la jeune femme de 29 ans rejoint sa famille. Elle embrasse affectueusement son jeune neveu. Son mari, Jonathann, est le dernier à rejoindre la tablée familiale. Ce soir, c’est raclette. Les tranches de fromage grésillent dans l’appareil, les verres trinquent. Comme à son habitude, c’est Jonathann qui fait le service et remplit les coupettes. Puis chacun va se coucher après s’être donné rendez-vous, le lendemain vers 15  heures, au bar PMU. Après son licenciement de l’usine Thomson à la suite d’un plan social, Jean-Pierre, le père d’Alexia, a repris le bar à Gray, il s’investit pleinement dans cette affaire avec sa femme. Isabelle est également conseillère municipale et très investie dans la ville. Alexia et Jonathann repartent chez eux. C’est la dernière fois que les proches d’Alexia la voient en vie. Quelques heures plus tard, ce samedi 28 octobre, vers midi, Jonathann se présente en effet à la Gendarmerie de Gray. C’est l’adjudante Adeline Pillot qui l’accueille. Une gendarme qui sera par la suite récompensée par l’Arme pour ses actions de sensibilisation et de prévention en faveur de la lutte contre les violences faites aux femmes.

En pleurs, Jonathann raconte que cela fait trois heures qu’Alexia a disparu après être partie faire son jogging. Un footing qui dure d’habitude entre 30 et 45 minutes, dit-il.

Sa femme est habillée d’un short noir et d’un gilet à manches rouges par-dessus un tee-shirt gris. Et elle n’a pas pris son téléphone.

Ce samedi matin, le couple s’est réveillé vers 7  heures. Puis, ils ont pris leur petit-déjeuner devant une série. Alexia a enfilé ses chaussures, Jonathann est parti en ville – il passe d’ailleurs par le PMU du père d’Alexia, où il va boire un café. Puis il s’est rendu à son travail pour chercher une imprimante. Mais, à son retour, Alexia n’est toujours pas rentrée. Où est-elle passée?

 

Un couple sans histoires

Alexia et Jonathann ont tout d’un couple sans histoires. Les deux époux se sont rencontrés très jeunes. La grande et belle jeune femme blonde avait 16 ans. Ses parents racontent la scène de présentations dans leur livre, Alexia, notre fille (Ed. Robert Laffont). « Je vous présente Jonathann, c’est mon petit ami. Euh, mon amour, quoi », dit-elle les pommettes légèrement rosées. Timide, son futur époux, un jeune étudiant de 19 ans alors en BTS d’informatique en alternance, ne dit rien. Les parents regardent d’un œil bienveillant le couple se former.

Ce jeune couple sans histoires s’était formé à la fin de l’adolescence. La jeune fille de 16 ans s’était éprise du jeune étudiant de 19 ans.

Mais loin d’une amourette de jeunesse, les deux jeunes gens, qui se sont rencontrés durant les vacances de février à la montagne, semblent faits l’un pour l’autre. Gagnant en assurance, Jonathann se transforme en gendre idéal, gentil et attentionné. Cet enfant d’une famille modeste de Gray a grandi avec ses huit frères et sœurs, nés de différentes unions. Perturbé par la mort de son père et atteint d’une scoliose, c’est un enfant obsédé par le rangement et la propreté. Mais après un parcours scolaire compliqué – il a redoublé son CE1 et son CE2 –, ce jeune homme toujours bien coiffé et bien habillé trouve sa voie en suivant un BEP d’électronique en lycée professionnel.

Aux 18 ans d’Alexia, ils partent à Besançon. Alexia veut faire une licence de psychologie. Elle vise à terme l’IUFM, ces instituts qui formaient les instituteurs, ou une école d’infirmière. Mais ses rêves d’école ne vont pas se réaliser. Les concours ne lui réussissent pas. Finalement, après son master en sciences de l’éducation, elle postule pour devenir employée au Crédit mutuel à l’agence de Besançon. Bonne pioche ! L’entretien d’embauche est un succès et la jeune femme est recrutée. Entre-temps Jonathann rejoint une entreprise d’informatique de Gray.

En attendant de racheter la maison des grands-parents d’Alexia, celle des parents d’Isabelle, le jeune couple s’installe avec son chat Happy chez leurs parents.

Après les recherches, la macabre découverte

En ce mois d’octobre 2017, cela fait près de deux ans que le jeune couple s’est marié en grande pompe au château de Talmay, en Côte-d’Or. Mais il y a une ombre au tableau. Les deux jeunes gens n’arrivent pas à avoir d’enfant. La grande sœur d’Alexia avait eu aussi des problèmes d’infertilité. Le gynécologue avait décelé des kystes aux ovaires nécessitant un traitement et une intervention chirurgicale, et Alexia tombe finalement enceinte au printemps 2017. Enfin ! Mais à la fin août, c’est la douche froide. Alexia apprend que la grossesse s’est arrêtée.

Voilà pourquoi, deux mois plus tard, à la Gendarmerie, Jonathann est si inquiet. Comme il le précise à l’enquêtrice, sa femme prend un traitement hormonal pour tomber enceinte. Ce qui lui vaudrait des pertes de mémoire qui la rendent dépressive, autant de raisons de s’inquiéter aussi vite alors que la jeune femme a disparu depuis seulement trois heures.

Saisie, la Gendarmerie déploie les grands moyens pour retrouver Alexia. Les habitants de la ville prêtent également main-forte.

Une première battue est organisée dans l’après-midi du dimanche par la mairie et l’Arme. Ils sont plusieurs centaines de personnes, dont la famille d’Alexia, à fouiller dans les taillis. Des plongeurs auscultent les bords de la Saône. Un habitant vient alors spontanément leur livrer un témoignage très inquiétant. Le conducteur d’une camionnette blanche aurait importuné sa fille en lui montrant son sexe. Et si ce dangereux pervers avait ensuite croisé la route d’Alexia?

La famille est rongée par l’inquiétude, quand elle apprend le pire.

Les proches d’Alexia organisent en vain des battues pour retrouver la jeune femme.

Ce sont des élèves-gendarmes mobilisés pour la battue qui font la macabre découverte.

Le corps d’Alexia est retrouvé, en ce début d’après-midi du lundi 30 octobre, dans un bois, à 7 kilomètres de Gray. Il est partiellement brûlé et caché sous des branches. A côté, on retrouve le bouchon blanc d’une bombe aérosol, des restes de vêtements de sport et un drap carbonisé qui recouvrait la jeune femme.

Le lendemain, une information judiciaire est ouverte pour assassinat. On l’apprendra plus tard, après l’autopsie : Alexia est morte par asphyxie et après avoir été frappée.

Une intense émotion

Quelques jours plus tard, les obsèques d’Alexia sont célébrées à Gray. Sa mort suscite une intense émotion dans la ville. La marche blanche en sa mémoire a ainsi rassemblé près de 10000 personnes. Aux funérailles, Jonathann, effondré, est soutenu par son beau-père. « Mon épouse et moi partagions la même soif de liberté à travers nos activités sportives », raconte-t-il, en larmes, la voix fluette hachée par l’émotion. «  Alexia aimait nager et courir, passion qui nous réunissait tant dans l’effort que dans l’épanouissement de notre couple. Elle était ma première supportrice, mon oxygène, la force qui me poussait à me surpasser lors de mes challenges physiques.

La force de notre couple nous faisait nous dépasser dans nos sorties et notre vie commune. Cette plénitude me manquera terriblement. »

L’avocat de la famille d’Alexia Daval, Jean-Marc Florand, fait part très vite d’une intuition. « L’épilogue est proche », dit-il à l’AFP, en excluant la possibilité d’un meurtre commis par un rôdeur de passage. L’avocat n’a pourtant pas encore eu connaissance du dossier.

Au départ, il doit d’ailleurs représenter toute la famille, dont Jonathann. Mais, anticipant un éventuel développement de l’enquête, l’avocat ne va garder dans son portefeuille que la seule représentation de la famille d’Alexia. Jonathann doit se trouver un autre avocat. Ce sera ce pénaliste renommé de Besançon, surnommé le « Dupond-Moretti franc-comtois », en référence au ténor du barreau devenu depuis ministre de la Justice.

A la presse, Me Randall Schwerdorffer, le conseil de Jonathann, qui va se constituer lui aussi partie civile, rappelle d’abord les déclarations de la procureure de Besançon.

De nombreux indices ont été recueillis, avait-elle expliqué. « Il peut s’agir d’ADN, d’un cheveu, d’un ongle, d’un morceau de peau ou d’un objet laissé sur place, énumère auprès du Parisien le juriste. On peut aussi déduire des lieux du crime – qu’il faut connaître un minimum – que l’auteur est proche géographiquement. Ce qui serait cohérent avec cette impression que le crime a été commis dans la précipitation. » Avant de déclarer espérer obtenir une interpellation avant la fin de l’année. 
« De la même manière que les parents et la sœur d’Alexia [son client] souhaitent désormais faire leur deuil de façon apaisée, après avoir été confrontés à une forme de folie médiatique », souligne l’avocat.

Suspect numéro un

Mais la figure du veuf éploré laisse rapidement la place à celle du principal suspect. Comme le précise l’ordonnance de mise en accusation consultée par L’Essor, les limiers de la section de recherches de Besançon envisagent rapidement l’hypothèse d’un meurtre commis par l’époux. Il y a d’abord ses premières confessions, alors qu’on cherchait encore Alexia. Après avoir orienté les gendarmes vers son voisin, qui serait devenu accro à sa femme, le jeune trentenaire a en effet détaillé les violences que son épouse lui infligerait. Ce sont des claques, des tapes, des morsures et des pincements qui se répètent, dit-il, depuis qu’elle prend son traitement hormonal contre l’infertilité, commencé un an plus tôt environ. Cette déclaration inquiète évidemment les gendarmes qui écoutent Jonathann. Est-ce que lui-même aurait été violent en réponse aux coups de sa femme qu’il aurait subis?

Non, assure-t-il.

Mais au-delà de ces tensions qui éclairent d’une autre façon le couple, les nombreuses incohérences du mari dans ses déclarations troublent les enquêteurs. Pourquoi le tracker GPS de son véhicule de fonction s’est-il activé dans la nuit du 27 au 28 octobre, alors que Jonathann avait d’abord expliqué que le couple était revenu un peu avant minuit au domicile familial? La carte Sim du tracker a d’ailleurs activé les deux relais les plus proches du lieu de découverte du corps. L’employeur de Jonathann avait installé ce système de surveillance il y a un an. D’ailleurs, le mari d’Alexia s’en était plaint. Il l’a installé pour « nous pister », déplorait-il. Le patron de Jonathann s’inquiétait en effet des nombreux lapins que lui posait son employé. « Tu es tout le temps chez ta mère », au lieu d’être sur le pont pour installer un photocopieur chez un client, lui reprochait-il.

Et pourquoi ne retrouve-t-on pas de trace de l’appel qu’il aurait soi-disant passé à la maison, dans la matinée du 28? Après l’autopsie de la victime, on retrouve également des traces de somnifère, étonnant pour quelqu’un qui part faire un footing. Détail troublant, les traces de pneu découvertes pas très loin de l’emplacement du corps peuvent correspondre à celles de la Citroën de Jonathann, selon un expert de l’IRCGN. Et ce bol alimentaire qui ne correspond pas à son récit de la matinée? Ou, enfin, ces traces de morsures sur le bras de Jonathann, qui suggèrent un corps à corps? Quant au SMS qu’Alexia aurait envoyé dans la matinée du 28 à sa sœur, il n’est pas écrit à la façon habituelle de la jeune femme. Elle a tendance à abréger les mots dans ses messages. Mais, cette fois-ci, tous les mots sont écrits en toutes lettres. Un faisceau d’indices semble ainsi désigner Jonathann comme le coupable.

Après l’interpellation, les aveux

Ce 29 janvier 2018, après trois mois de patiente enquête, les gendarmes ont assez d’éléments pour interpeller Jonathann. Les militaires font une nouvelle perquisition chez le mari d’Alexia. Encore une fois, ils trouvent de nouveaux indices intrigants. Comme ce drap brodé similaire à celui retrouvé sur la scène de crime. Et cet aérosol sans bouchon, de la même marque que le bouchon retrouvé près du corps. De simples coïncidences, pour Isabelle, la mère d’Alexia. « Je soupçonne tout le monde, sauf Jonathann », déclare-t-elle aux enquêteurs. C’est le même tissu ? « Prouvez-moi que c’est les mêmes. Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise. Y’en a-t-il des centaines pareils ? Je n’en sais rien, moi. Ça ne peut pas être Jonathann, c’est comme mon fils. » Jean-Pierre ne dit pas autre chose. « Je reste persuadé que Jonathann n’a rien à voir dans cette histoire. On est trop proches avec le gamin, on aurait vu quelque chose, rien n’a changé entre avant et après

les faits. Au contraire, ça a renforcé nos liens. »

Et pourtant… Ce 30 janvier, les enquêteurs en sont à leur 32e heure de garde à vue. 

La cinquième audition va débuter.

Les comportementalistes expliquent à Xavier Blanchard, le gendarme qui mène l’interrogatoire, qu’il est possible que Jonathann ne parle pas. « C’est la dernière audition. Après, vous ne pourrez plus vous expliquer », prévient l’officier de police judiciaire. Jonathann s’isole. Puis, en pleurant, il annonce aux enquêteurs que oui, il a bien tué sa femme. Il leur raconte que ce vendredi soir, après le repas chez les parents d’Alexia, elle a commencé à le mordre et à le griffer. «  J’ai voulu faire comme d’habitude, la serrer dans mes bras pour qu’elle ne me frappe pas. Et là, c’était vraiment…, c’était fort, dit-il aux gendarmes. On était dans la chambre, je l’ai mise sur le lit et je l’ai maintenue contre moi et, sans le vouloir, je l’ai étouffée. Je l’ai étouffée en la serrant quand elle était sur le lit. »

Dans le livre Je voulais qu’elle se taise (Hugo Doc), co-écrit avec Frédéric Gilbert, l’avocat de Jonathann, Randall Schwerdorffer, raconte qu’il s’attendait à une arrestation très tôt, le 8 novembre, le jour des obsèques d’Alexia.

A Gray, détaillent Frédéric Gilbert et Randall Schwerdorffer, « il a été vu comme le meurtrier d’Alexia dès les premiers jours de l’enquête. La rumeur est née dans tous les bistrots de la ville, sauf à La Terrasse, l’établissement de Jean-Pierre et Isabelle Fouillot, où les parents d’Alexia ont apposé un écriteau sur lequel on peut lire  : “Votre silence est le plus beau des hommages. Merci de respecter notre sérénité.” ».

Une sombre personnalité

Après les aveux de Jonathann, la famille d’Alexia tombe des nues. « Me sont revenus en tête les trois mois que nous venions de passer avec lui, à le cajoler comme s’il avait été notre fils, alors qu’il était le meurtrier de notre fille », raconte Jean-Pierre, le père d’Alexia. « Il s’était vraiment foutu de la gueule de tout le monde, ajoute-t-il. C’était le pire scénario que l’on pouvait imaginer. Notre monde s’écroulait. Nous perdions notre gendre après que l’on nous eut arraché notre enfant. »

Entre-temps, Jonathann s’était en effet fortement rapproché des parents d’Alexia.

Au point d’appeler la mère, Isabelle, « Maman », en dénigrant sa propre mère, décrite comme autoritaire et méchante. « Cela nous touchait, raconte plus tard Jean-Pierre. Il nous disait tellement que sa famille ne comptait pas. Alors, nous étions là pour lui. »

La famille d’Alexia va commencer à prendre conscience de l’ampleur des mensonges de Jonathann. Par exemple, le jeune homme avait prétendu auprès de son patron faire de l’asthme, raison pour laquelle il devait passer souffler dans une machine chez ses parents deux fois par jour. Une affection dont il ne s’était pourtant jamais plaint. Et alors que le trentenaire disait ne plus voir sa propre famille, il déjeunait en fait tous les jours chez sa mère, Martine.

Les relations entre la famille d’Alexia et sa belle-famille sont d’ailleurs plutôt fraîches. Après le mariage du couple, les Fouillot ne reverront la famille Daval qu’à l’occasion des recherches lancées pour retrouver Alexia. Une bien triste soirée, se souviennent les parents d’Alexia. Selon eux, un frère de Jonathann se serait plaint que la veillée familiale lui avait fait « rater un coup » sur un site de rencontres.

Ils découvrent ainsi que Jonathann semble mener une double vie. Le veuf éploré est parti, la veille de la marche blanche, avec la Porsche de son beau-père pour aller au cinéma voir le film Thor. Une escapade passée sous silence.

Sur les images de vidéosurveillance à la qualité dégradée, « il ne donne pas l’impression d’être mal, remarque Isabelle. Il ne pleure plus. Il lui a certainement fallu une certaine dose d’inconscience ou de confiance en lui pour affronter la foule, alors que son visage était désormais à la une de tous les magazines. »

A la mi-janvier, le jeune veuf a également invité tous ses collègues de travail pour fêter son anniversaire, « ce qu’il n’avait jusque-là jamais fait », souligne Jean-Pierre.

Les deux personnalités de Jonathann

A son procès aux assises, en novembre 2020, les experts essaieront d’éclairer les différentes facettes de cette personnalité caméléon.

« Deux personnalités coexistent chez Jonathann Daval, sans jamais se rencontrer, explique ainsi Tony Arpin, rapporte Radio France. Une personne qu’il donne à montrer, comme il faut, qui travaille, aime sa femme, achète une maison, veut un enfant… Et se juxtapose un autre personnage, plus agressif, plus dominateur. Les deux ne se rencontrent jamais. Comme si Jonathann Daval en lui-même n’existait pas. Il ne va exister qu’en fonction du miroir des autres. » Ce même expert, cité dans l’ordonnance de mise en accusation, signalait une « personnalité très complexe » et un « simulateur ».

Les parents d’Alexia vont alors rembobiner plusieurs séries d’événements qui jusqu’ici n’avaient pas vraiment attiré leur attention.

Il y avait, par exemple, cette drôle d’histoire de douche. Alors que le couple s’était installé chez les parents d’Alexia, il arrive à Jonathann de rester cloîtré plusieurs dizaines de minutes dans la salle-de-bains. Au point d’empêcher les parents d’arriver à l’heure pour l’ouverture de leur commerce ! Jonathann finit par sortir et désigne sans autre explication un point rouge qu’il a sur le nez. La scène se reproduira, rapportent les parents d’Alexia, surpris par le comportement de leur beau-fils d’ordinaire si bien élevé.

Un autre jour, par boutade, Isabelle suggère à Jonathann de faire le ménage dans toute la maison. Elle venait de l’apercevoir en train de ramasser des moutons de poussière. Les jours suivants, dit-elle, le jeune homme va ranger « la maison dans ses moindres recoins ». Jusqu’au réfrigérateur, où les aliments sont soigneusement alignés!

C’est visiblement la manifestation des troubles obsessionnels compulsifs qui affectent le jeune homme. De tels troubles ne font évidemment pas de lui un meurtrier. Mais additionnés, ces différents éléments offrent à voir un autre Jonathann. « Mon fils n’est pas un monstre », tempère Martine Henry, sa mère, dans un livre écrit après l’affaire avec la journaliste Plana Radenovic. Mais « ce qu’il a fait est monstrueux », ajoute-elle aussitôt. Avant de déclarer maladroitement à RTL que son fils s’entend bien avec Guy Georges. Le tueur en série condamné pour sept meurtres et de nombreux viols est détenu dans la même prison que son fils.

 

Le procès

Quand le procès pour meurtre – une qualification préférée à l’assassinat, au regret de la famille d’Alexia – de Jonathann Daval s’ouvre devant la cour d’assises de Haute-Saône, à Vesoul, en novembre 2020, les principales zones d’ombre ont été levées. Mais que l’instruction a été laborieuse ! Jonathann va en effet donner de nombreuses versions des faits. L’accusé parle d’abord d’un accident. Des premiers aveux qui ne collent pas avec le rapport d’autopsie. Des contusions sur le visage et sur le cuir chevelu d’Alexia faisant suite à des coups multiples et violents ont été relevées. Les experts signalent également des contusions au niveau du dos, comme si la victime avait lutté ou été plaquée au sol, et des marques qui suggèrent que son corps a été traîné.

A la fin juin 2018, après avoir reconnu qu’il a étranglé sa femme, Jonathann explique finalement que c’est la faute de son beau-frère, Grégory, le mari de Stéphanie. Il aurait tué Alexia en tentant de la maîtriser au domicile de ses parents. Le jeune homme prétend même que toute la famille aurait assisté à la mort de la jeune femme. Selon ses dires, sa participation au meurtre se serait limitée au déplacement du corps, évoquant alors un complot familial contre lui. Six longs mois plus tard, quand la confrontation devant la juge d’instruction débute, l’accusé soutient toujours cette version. Isabelle, très calme, lui montre une photo de leur chat Happy. « Il va bien, lui dit-elle. Si tu veux qu’on te pardonne, il faut qu’on comprenne. Tu t’enfermes dans le déni. » Jonathann s’effondre aussitôt en pleurs. Oui, confesse-t-il, « je vous ai pris votre fille ».

Ces rebondissements font de ce dramatique dossier un véritable feuilleton. Ce qui n’est pas du goût de la justice. La juge d’instruction dénonce sévèrement cette médiatisation dans son ordonnance de mise en accusation, rendue en janvier 2020. «  L’écho médiatique exceptionnel est lié sans conteste, à l’origine, aux manœuvres imaginées par Jonathann Daval pour faire croire à un meurtre commis par un rôdeur assassin », relève la magistrate. Mais si la juge explique comprendre les raisons de cet intérêt, elle ne peut que regretter la fuite dans la presse de nombreux éléments de la procédure. Au point, dit-elle, de « fragiliser les actes en cours, influencer les témoignages, et, potentiellement, nuire à l’enquête, obligeant enquêteurs et magistrats à louvoyer avec le peu de moyens procéduraux à leur disposition pour préserver le secret et poursuivre leurs investigations le plus sereinement possible ».

La seule solution, le divorce

Si la culpabilité de Jonathann ne fait guère de doute, son procès doit donner des réponses sur deux points. Quelle va être la peine de l’ancien mari d’Alexia? Et va-t-il enfin s’expliquer plus longuement sur ce meurtre? « Notre situation de couple était très compliquée, elle avait des soucis, j’avais des soucis, ce qui provoquait beaucoup de conflits », dit Jonathann aux jurés de la cour d’assises, des propos rapportés par le site Dalloz Actualité. « Il y avait cette histoire d’avoir un enfant, les demandes de rapports sexuels assez souvent, les reproches comme quoi j’étais distant, que je fuyais cette relation, que je n’étais pas un homme, que je ne prenais aucune décision. » Le président de la cour d’assises lui demande alors. « C’est vrai, ce qu’elle vous reprochait ?» Jonathann répond : «Je m’étais éloigné, oui, je fuyais.»

Selon le récit du jeune homme, ce soir d’octobre 2017, Alexia lui aurait demandé une relation intime. Furieuse d’un refus, sa femme aurait multiplié les reproches alors que lui aurait tenté de partir. « Elle m’a insulté et elle m’a mordu au bras, raconte l’accusé. Et là, ça m’a mis hors de moi. »

L’homme qui, via son avocat, avait également pointé la personnalité écrasante de sa conjointe, « pète un câble » et frappe de plusieurs violents coups de poing sa tête, avant d’étrangler Alexia. Certes, comme l’admet la défense, « aucun élément ne permet de confirmer les violences physiques que Jonathann dénonce » – comme cette blessure à la côte en 2016, que sa mère impute à Alexia dans son livre. Mais, ajoute son avocat dans son livre, « la justice a souvent tendance à croire la simple parole des femmes qui se disent victimes de violences conjugales ». Alors que, pour Jonathann, on demande des preuves, regrette-t-il.

Une stratégie de défense qualifiée « d’odieuse », qui avait fait bondir la famille d’Alexia. La jeune femme « n’était pas violente », rétorque Isabelle. « Elle n’a jamais eu de crise. J’ai envie de vomir. Il accuse Alexia d’être la responsable de sa propre mort», souligne-t-elle dans son livre. Lors de l’instruction, la famille d’Alexia avait été soutenue par Marlène Schiappa, qui avait, en janvier 2018, jugé scandaleuse la ligne de défense de Jonathann. A chaque fois qu’une femme est victime de violences, analysait la secrétaire d’Etat à l’Egal
ité femmes-hommes, « on trouve des raisons qui justifieraient le fait que cette femme ait été victime. On fait comme si la victime elle-même était coupable d’avoir été victime », s’insurge-t-elle.

Au procès, Isabelle interpelle directement son gendre. « Tu sais, c’est la dernière fois qu’on se parle tous les deux, lui dit-elle, rapporte France bleu. J’ai besoin de savoir. Lâche-toi. Tu es heureux maintenant. Tu ne l’entendras plus. Tu as gagné ? Elle s’est tue à jamais. Je n’entendrai plus son rire, sa voix. C’est juste, que tu n’étais pas un homme ? Mais c’est vrai, tu n’es pas un homme. C’est dur d’entendre la vérité.»

Des mots forts, qui suspendent le temps dans la salle d’audience. « Je suis désolé pour tout, répond Jonathann. Je ne peux rien dire de plus », ajoute-t-il.

Alors, ce sont les proches d’Alexia qui tentent de trouver les réponses aux questions qu’ils se posent. « Il ne prend pas la peine d’accompagner sa femme à ses rendez-vous [médicaux contre l’infertilité], il se tient à distance, ne se sent pas concerné », analyse à la barre sa sœur Stéphanie. Alexia, poursuit-elle, « se sent seule. Il rentre tard. Je pense qu’Alexia en avait marre de cette situation. La seule solution, c’était le divorce. » Mais, remarque-t-elle, avec le divorce, Jonathann aurait tout perdu. « Il est impossible qu’elle parte, qu’elle détruise son château de cartes, qu’elle l’oblige à s’expliquer et qu’elle le démasque aux yeux de tous », résume Caty Richard, l’avocate d’une partie de la famille d’Alexia.

Autre hypothèse développée par Stéphanie : Jonathann n’aurait jamais voulu, en fait, avoir d’enfant, préférant garder ce rôle pour lui seul. Laquelle est la plus proche de la vérité ? On ne le sait pas.

Le 21 novembre 2020, Jonathann est condamné à une peine de vingt-cinq années de réclusion criminelle. Il ne fera pas appel. L’avocat général avait demandé la réclusion criminelle à perpétuité pour ce dossier devenu l’un des symboles des féminicides.

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