Le 30 juin 2023, Verneuil-sur-Avre, petite ville normande posée au milieu des champs de blé, se réveille hébétée. Son centre-ville historique à jardinières et colombages sens dessus dessous, porte les stigmates des émeutes de la nuit encore fumantes.
Le bar-tabac Le Rallye, racheté depuis quelques années par une famille franco-chinoise, a été gardé toute la nuit par crainte d'un pillage. "C'était des mômes qui avaient envie de casser du flic. Manifester oui, casser non", lance au comptoir Franck, un habitué. À la surprise générale, le soulèvement qui met les banlieues de France en ébullition depuis la mort de Nahel, tué par un policier à Nanterre (Haut-de-Seine), a gagné la commune rurale de 7.000 habitants en bordure du Perche.
Chacun dans cette ville tranquille, surtout connue pour ses 15 monuments historiques, sans marquage politique net, y va de sa théorie. La faute à l'éclairage municipal coupé après 23h00? Aux réseaux sociaux? À de la mauvaise graine venue d'autres villes? À l'ennui?
Le maire, Yves-Marie Rivemale, n'avait "jamais vécu ça": l'appel affolé à 23h30, puis la cellule de crise improvisée dans la caserne des pompiers, le préfet et la gendarmerie au téléphone en attendant, l'angoisse de voir sa ville en bois partir en feu, l'arrivée des renforts…
Les violences urbaines racontées par les gendarmes
Cette flambée de violence au coeur d'une petite ville de Normandie illustre l'une des particularités de la géographie inédite de la vague d'émeutes de 2023, note une source sécuritaire, souhaitant rester anonyme auprès de l'AFP.
"On a bien vu que certaines des cités les plus chaudes de France n'ont pas bougé une oreille, à la demande des trafiquants ne souhaitant pas voir leurs activités économiques perturbées", indique-t-elle. "Ce sont les plus petits quartiers, et les villes de délinquance mineure, y compris en zone rurale et semi-rurale, qui nous ont le plus surpris et ont nécessité un dispositif adapté", ajoute cette source.
"C'est pas les quartiers nord de Marseille mais on est obligés d'y aller en force"
À Verneuil-sur-Avre, pendant plus de quatre heures, une quarantaine de jeunes masqués ont affronté les forces de l'ordre. Dès le début de soirée, à coup de feux d'artifice, les faisant reculer jusqu'à l'arrivée des renforts spécialisés, ils ont eu le temps de mettre le feu à un bus scolaire, à la voiture d'une vieille dame, et de progresser vers le centre-ville. Dans la rue principale, à la "Braderie normande", tout est pillé dans la nuit. Les jeunes ont emporté l'intégralité du rayon de pétards et fracassé la caisse, vide, avant de se disperser, mettant le feu aux poubelles laissées dehors en cette veille de ramassage.
Le soulèvement, des "scènes de guerre" selon la une de l'hebdomadaire local La Dépêche de Verneuil, est parti du quartier populaire Vlaminck, ensemble de cubes de béton défraichis posés en bordure de champs où vivent 1.500 Vernoliens. "C'est pas les quartiers nord de Marseille mais on est obligés d'y aller en force car il y a systématiquement de l'hostilité, surtout verbale", explique à l'AFP le patron de la gendarmerie de l'Eure, le colonel Emmanuel Gros.
Emeutes : sixième nuit beaucoup plus calme. Encore des interpellations et des destructions.
Dix jours après la flambée, l'enquête des gendarmes a permis une première condamnation: un homme de 20 ans de la ville voisine, passé par Nanterre juste avant, et soupçonné d'avoir poussé et préparé les plus jeunes de Vlaminck à la confrontation. Depuis, "une dizaine" d'autres jeunes ont été interpellés selon le colonel Gros. Il en ressort un profil commun: "des très jeunes (14-17 ans, ndlr) avec un souci de mimétisme entretenu par les réseaux sociaux".
"Ici il n'y a que des vieux, des culs-terreux"
Tout est parti dès la veille de Snapchat et d'un hashtag "Justice pour Nahel", confirme à l'AFP un jeune de 16 ans du quartier, présent le soir des émeutes mais ne souhaitant pas confirmer sa participation, ni donner d'éléments permettant de l'identifier. "C'était marrant de voir ça à Verneuil" et "de faire des dégâts à l'Etat", ajoute-t-il. "Tout est fermé à 22h00, il n'y a rien à faire dans cette ville, pas de bar pour nous, pas de boîte. Ici il n'y a que des vieux, des culs-terreux", tempête l'adolescent qui n'attend qu'une seule chose: avoir son permis pour "se casser d'ici".
Le maire de Verneuil reconnaît que sa ville n'est "ni Paris, ni Caen, ni Rouen", qu'on ne peut pas "faire un foot à 3h du matin et qu'il n'y aura jamais de Quartier latin avec des boîtes jusqu'à 5h du matin". Mais il dit aussi qu'il y aura "un avant et un après" cette nuit du 29 au 30 juin dans sa politique pour le quartier Vlaminck: plus d'offre culturelle combinée à plus de sécurité. Il parle déjà d'une intensification des actions "d'aller vers" (concerts, maison de santé, rénovation) en même temps que d'un message de fermeté sécuritaire, avec le rétablissement de l'éclairage nocturne, le recrutement d'un 8e policier municipal et des patrouilles de nuit.
Pour le colonel Emmanuel Gros, avec l'accélération des crises contestataires en France, la question n'est pas "si ça peut se reproduire, c'est quand".
Daphné Rousseau (AFP)