En 2020, deux séries de déclassifications avaient déjà eu lieu à la demande des juges qui instruisent cette affaire vieille de près de 42 ans. En juillet 2020, la ministre des Armées Florence Parly avait levé le secret défense sur une dizaine de notes et télex, datés de l'été 1982, de la DGSE, héritière quelques mois plus tôt du Service de documentation extérieure et de contre espionnage (Sdece). En décembre 2020, c'était au tour du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin de déclassifier près d'une quarantaine de notes de la DGSI datées de 1984 à 2015.
Cette fois-ci le juge Régis Pierre, chargé du dossier de l'attentat de la rue des Rosiers, a obtenu le feu vert du ministre des Armées Sébastien Lecornu pour se voir communiquer deux lettres frappées du secret défense. Ces deux courriers avaient été adressés par le ministre de la Défense d'alors Charles Hernu au Président de la République François Mitterrand. Ils sont datées du 16 août 1982 et du 3 septembre 1982. Cette déclassification fait suite à l'avis favorable émis le 28 février 2024 par la Commission de secret de la Défense nationale (CSDN) et publié le 14 mars au Journal officiel.
La rue des Rosiers, le premier attentat de l'ère Mitterrand
Le 9 août 1982, au début du premier septennat de François Mitterrand, au moins deux terroristes pénètrent dans le restaurant de Jo Goldenberg, figure de la communauté juive, situé dans le quartier du Marais, à Paris. Ils tirent au pistolet-mitrailleur et lancent deux grenades. Bilan : six personnes tuées et une vingtaine d'autres blessées. La Police impute ce massacre au groupe Abou Nidal, un mouvement dissident de l'OLP. Cet attentat ne sera toutefois pas revendiqué par le groupe Abou Nidal. Mais en 2018, le directeur de la DST de l'époque, Yves Bonnet, révèle qu'un accord verbal avait été conclu après l'attentat avec le groupe d’Abou Nidal. Celui-ci s'engage alors à ne plus commettre d’attentats en France, ses membres pouvant en échange continuer à venir dans l'Hexagone.
L’enquête de la police française piétine pendant des années, sans aucune avancée notable. Abou Nidal meurt à Bagdad en 2002, à l'âge de 65 ans. En 2015, la justice française délivre quatre mandats d’arrêt internationaux contre quatre hommes soupçonnés de responsabilités dans l’attentat et vivant en Cisjordanie, en Jordanie et en Norvège. La justice jordanienne refuse à plusieurs reprises d’extrader ses deux ressortissants concernés.
Il ne reste alors qu’un seul suspect aux mains de la justice française : Abou Zayed, un Palestinien naturalisé Norvégien, âgé aujourd’hui de 65 ans, soupçonné d’avoir été l’un des tireurs le 9 août 1982. Extradé de Norvège en 2020, il est mis en examen en France pour « assassinat » et « tentatives d’assassinats ». Une extradition qui a ouvert la voie à un hypothétique procès plus de 40 ans après les faits. Placé en détention depuis 2020, Abou Zayed clame son innocence, assurant qu’il n’était pas en France au moment des faits.
Info L’Essor – Déclassification de documents sur deux très anciens attentats meurtriers à Paris
Près de 400 avis de la CSDN depuis sa création
La CSDN rend, à la demande des autorités régaliennes (Elysée, Matignon, ministères des Armées, de l'Intérieur…), des avis (favorables, défavorables, partiellement favorables) à la déclassification de documents secret défense. Les magistrats instructeurs, qui ont eu connaissance de documents classifiés, souhaitent y avoir accès pour nourrir leurs dossiers. Ils demandent alors la transmission de ces documents à l'autorité qui les détient. Celle-ci se tourne alors vers la CSDN qui donne dans les quinze jours un avis sur la déclassification.
Depuis sa création en 1998, la CSDN a rendu près de 400 avis, généralement suivis par les autorités concernées.
Pierre-Marie GIRAUD