Auditionné dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026, le général d’armée Hubert Bonneau, directeur général de la Gendarmerie nationale, a livré sans détour un constat cruel devant la commission de la Défense de l’Assemblée nationale. Malgré une hausse du budget de 200 millions d’euros en 2026, les besoins restent loin d’être couverts.
Les effectifs encore sous le niveau de 2007
Il s’agissait de sa première audition devant les députés depuis sa prise de fonction. Et le patron des gendarmes n’a pas masqué ses inquiétudes, malgré une augmentation de 158 millions d’euros, majoritairement sur le titre 2, c’est à dire les dépenses de personnel. L’année 2026 devrait en effet marquer le retour d’un schéma d’emploi positif avec la création de « 400 équivalents temps-plein (ETP) pour 58 brigades territoriales fixes et mobiles », a précisé le général. Mais Hubert Bonneau a précisé que cette création ne permettrait que de rattraper une partie du retard accumulé. En 2025 en effet, aucune brigade n’a été créée, malgré les engagements de la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI) qui prévoyait 239 brigades entre 2023 et 2027.
Avec ces créations prévues, la Gendarmerie n’aura réalisé que 70 % des effectifs prévus dans le cadre de la Lopmi. « Il reste quand même 30 % à réaliser sur les années qui viennent », a souligné le général Bonneau.
Le directeur général a cité un chiffre frappant. « En 2007, nous étions à 3,2 gendarmes pour 1 000 habitants. Aujourd’hui, on est à 2,8 gendarmes pour 1 000 habitants ». Cette dégradation du ratio s’explique par l’augmentation du nombre d’habitants en zone Gendarmerie, soit plus de 3 millions depuis 2007. Dans le même temps, les effectifs n’ont toujours pas retrouvé leur niveau d’avant la Révision générale des politiques publiques (RPP) lancée par le Président d’alors, Nicolas Sarkozy . « Il nous manque encore 250 ETP pour revenir au niveau des effectifs de 2007 », a-t-il insisté.
Un parc domanial qui va mal et des loyers qui s’envolent
Sur l’immobilier, le général Bonneau s’est montré très préoccupé. Certes, les crédits dans ce domaine passent à 352 millions d’euros en 2026, mais « on ne revient pas encore au niveau de 2009, notre intégration au ministère de l’Intérieur, où ces crédits immobiliers étaient à 400 millions d’euros ». Or, « il nous faut 400 millions d’euros chaque année pour entretenir et rénover le parc domanial de l’État. Aujourd’hui, ce n’est plus possible ».
Par ailleurs, la dérive des loyers constitue une menace structurelle. En 2024, l’Arme a dépensé 628 millions d’euros de loyer, contre 300 millions en 2009. « Les projections les plus probables, dans 8 à 10 ans, c’est 1 milliard », a averti le directeur général. Sa conclusion est sans appel : « L’immobilier, c’est la pierre angulaire, je crois. (…) Si on continue à ne faire que du locatif, je suis pas sûr, dans 20 ans, 30 ans, que notre modèle soit entièrement soutenable ».
Face à cette impasse, il propose un nouveau système de location avec option d’achat sur vingt à vingt-cinq ans, nécessitant un nouveau décret et l’accord de Bercy.
Des véhicules hors d’âge
Sur les véhicules, la situation frôle la crise. La durée de vie d’un véhicule de l’Arme étant de huit ans, il faut remplacer un huitième du parc tous les ans, soit 3.750 véhicules. Mais, sur les quatre dernières années, la Gendarmerie n’a pu en acquérir que 5.000 au lieu des 15.000 nécessaires. « Aujourd’hui, il me manque 10 000 véhicules », note Hubert Bonneau.
Pour la flotte d’hélicoptère les inquiétudes du DGGN dont également importantes. Ainsi, des Ecureuil ont plus de 40 ans, Dix appareils ont déjà été retirés du service, obligeant à des fermetures temporaires de sections aériennes. Six fermetures ont été programmées jusqu’en octobre, et six autres d’ici début 2026.
La solution pour le directeur général passe par une commande de vingt-deux hélicoptères H145 D3, un marché de 350 millions d’euros qui doit être passé « dernier délai en 2027″. Sans quoi, a prévenu le général Bonneau, « il faudra faire des choix de maintien d’ouverture des sections aériennes et des missions ».
Une réserve qui manque de moyens
Du côté de la réserve opérationnelle, le général Bonneau a mis en avant un paradoxe. Si elle est incontestablement un succès puisqu’elle est passée en trois ans de 33 000 à 38.000 réservistes, les moyens ne suivent pas. Le DGGN affirme qu’il y a les volontaires pour recruter 50.000 réservistes « sans aucun problème ». Mais l’enveloppe budgétaire, portée de 75 à 100 millions d’euros en 2026, reste très insuffisante pour les « employer suffisamment ». Aujourd’hui la Gendarmerie leur offre entre 20 et 25 jours d’engagement par an, alors qu’il faudrait atteindre trente jours et « dépasser largement les 150 millions d’euros » de budget.
« Certains réservistes vont être employés et seront rétribués en janvier de l’année prochaine. Je ne peux pas faire autrement », a reconnu le directeur général, relevant l’absurdité de la situation : des milliers de citoyens prêts à servir, mais pas de moyens pour les employer.
Une gendarmerie mobile suremployée
La gendarmerie mobile subit un surengagement chronique. L’idéal serait d’employer tous les jours 68 escadrons sur les 116 de l’Arme. Un tel engagement garantirait les indisponibilités des unités et des personnels et le maintien opérationnel, c’est-à-dire le recyclage, notamment à Saint-Astier. Or, cela n’est plus possible, explique le DGGN avec un engagement moyen d’entre 77 et 80 EGM par jour.
L’outre-mer pèse aussi fortement sur cette subdivision d’arme avec une quarantaine d’escadrons en permanence Outre-mer, dont 20 en Nouvelle-Calédonie.
« Au quotidien, ces gendarmes mobiles outre-mer ne font pas de maintien de l’ordre. Ils sont en appui des forces territoriales pour garantir la sécurité publique », note Hubert Bonneau. « Mais si on les enlève, cela devient très compliqué dans des secteurs comme Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane), la Martinique aujourd’hui, Mayotte et la Nouvelle-Calédonie. Ils viennent suppléer, quelque part, les forces territoriales ».
Pour compenser, la Gendarmerie a généralisé le système des compagnies de marche, testé lors des Jeux olympiques. « Cette année, que ce soit pour les dispositifs hivernaux ou bien estivaux, aucun gendarme mobile n’a été déplacé », a précisé le directeur général. « Tous ces besoins de transfert de sécurité ont été réalisés par la gendarmerie départementale. »
Le retour de la DOT
Inquiet des menaces extérieures, notamment russes, qui pèsent sur la France, le général Bonneau entend que la Gendarmerie anticipe un potentiel conflit à l’Est. Il prépare donc la Gendarmerie à son rôle dans la défense opérationnelle du territoire (DOT). Il a décrit aux députés une expérimentation menée dans trois départements du Grand Ouest « pour que nous ayons des actions ciblées sur l’industrie de défense, sur les bases de défense, les opérateurs d’importance vitale et les points d’importance vitale ».
En cas « d’engagement majeur de la France à l’Est, qui tiendra le territoire national? Je pense que c’est aussi le sujet de la gendarmerie », a-t-il affirmé. Dans cette perspective, la réserve opérationnelle constitue un levier essentiel, d’où l’importance de pouvoir l’employer davantage.
MG
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