L’Essor : Mon général, après le passage du cyclone Chido et la diffusion de premières images montrant l’état de l’archipel de Mayotte, comment vont les gendarmes sur place, et leurs familles ?
GCA Lionel Lavergne : « Permettez moi avant tout d’adresser mes tous premiers propos à tout ceux qui sont sur le territoire de Mayotte. Tous les Mahoraises et les Mahorais, y compris les Mahorais de cœur et ceux qui y servent, avec une pensée particulière pour les personnels qui sont sous mes ordres.
Mayotte est une île en état de désolation. C’est historique. Au moment où je vous parle, on a 52 familles très exactement qui ont tout perdu. 52 familles dont les logements sont détruits. Des gens qui sont bien évidemment choqués. Pour autant, les militaires sont sur le terrain depuis la levée de l’alerte violette (NDLR : le niveau maximal d’alerte, lors du passage du cyclone Chido) et le retour en alerte rouge. Nous avions alors 650 gendarmes sur le terrain. Y compris ceux qui avaient tout perdu ! Leur engagement est remarquable ».
L’Essor : Combien de gendarmes étaient présents avant le passage du cyclone Chido ?
« Avant l’arrivée des renforts, le nombre de gendarmes sur place était de 800 : 350 militaires affectés, renforcés par 450 militaires de la gendarmerie mobile et de la Garde républicaine. Le Commandement de la gendarmerie (ComGend) de Mayotte dispose de deux compagnies. Celle de Koungou, qui couvre le nord de Grande Terre et Petite Terre, et celle créée récemment à Dembeni, qui couvre le sud de Grande Terre ».
L’Essor : Peut-on comparer la situation de Mayotte avec l’ouragan Irma, qui a frappé les iles de Saint-Barthélémy et Saint-Martin en 2017 ?
« J’ai vécu, dans un précédent poste, les conséquences de l’ouragan Irma en 2017. Si tout ne peut pas être comparé entre Irma et Chido, on a là une Gendarmerie qui est vraiment aux avant-postes et qui répond présent, alors même qu’elle a été touchée comme tout le monde dans l’archipel.
La différence avec Irma, c’est qu’à Mayotte nous avons une gendarmerie qui a une très très forte résilience. Les gens; affectés à Mayotte, sont dans des conditions très difficiles. C’est très exigeant. Pour prendre une métaphore, c’est comme si l’on avait un coureur cycliste aguerri, déjà habitué à faire des montées et des descentes, avoir un cardio très élevé. Effectivement, la crise liée au passage de Chido sort de la norme. Mais le quotidien des gendarmes de Mayotte est lui aussi déjà hors normes. Ils ont déjà un rythme important. Et je pense que c’est ce rythme là, de confrontation d’exigences et de situations du quotidien qui dépassent la norme, qui fait que les gendarmes ont pu être présents, sur le terrain, sur le pont, dès le cyclone passé. D’ailleurs, malgré le cyclone et ses conséquences, nous n’avons pour l’instant aucun militaire qui souhaite partir ».
L’Essor : Prévoyez-vous de rapatrier les familles des gendarmes ?
« On a déjà commencé à rapatrier certaines familles, oui. Tout cela est coordonné par le ComGend de Mayotte et le préfet. On a envisagé d’avoir une base arrière à La Réunion. On a tout de suite mis en place les modalités. Et les premières familles sont arrivées mercredi soir. Le but, c’est de faire en sorte que les militaires soient sereins pour l’accomplissement de leurs missions. Et faire en sorte que les familles soient prises en charge et puissent se reconditionner.
L’Essor : Quels sont les dégâts sur place, notamment pour les gendarmes ? Et comment réagissent-ils ?
« L’intégralité de l’archipel a été touché. Tout a été dévasté. Tous les habitats précaires se sont envolés. Ils sont environ 100.000 sur l’île. D’où les amoncellements de tôles que l’on peut voir sur les images diffusées à la TV et sur les réseaux sociaux.
Deux casernes ont été détruites par le cyclone Chido : celle de Mzouazia, sur la Grande Terre, et celle la compagnie de Koungou. C’est aussi le cas de la brigade de Tsingoni, une unité nouvellement créée dans le cadre des 239 nouvelles brigades. Le bâtiment, qui comporte trois étages, avec des locaux de services et techniques, ainsi que des logements pour les gendarmes départementaux et les gendarmes mobiles en renfort, était neuf ! Mais maintenant, il n’y a plus rien. Le toit est parti. Il y a eu du ruissellement d’eau … .
Il faut savoir également que près des trois quarts des militaires sont logés dans le civil à Mayotte. Le rythme de construction des casernes n’a pas suivi le rythme démographique sur place, et donc le rythme de montée en puissance des effectifs de la Gendarmerie. Fort heureusement, la plupart de ces logements sont encore viables ».
Esprit de corps et cohésion des gendarmes
« Et il y a une forte solidarité entre camarades. Les familles se logent entre elles. Et à partir du moment où le gendarme sait que sa famille est prise en charge par la famille d’un collègue, il est beaucoup plus serein pour travailler. Cet esprit de corps est à noter. Il est inhérent à la cohésion qui est liée à notre statut. Et de cette forte résilience, en découle une forte mobilisation dès le cyclone passé. Par exemple, le commandant de la compagnie de Koungou a eu son logement personnel et son bureau dévastés par le cyclone Chido. Tout comme d’autres militaires. Ça n’empêche pas qu’il est en ce moment sur le terrain, à la tête de ses hommes ; qu’il commande.
Cela, on le doit en grande partie à notre statut militaire. Il y a une forme d’esprit de corps, de cohésion dans nos casernements. Il faut le saluer. Ceux qui ont tout perdu ont été relogés ailleurs. La prise en charge des familles, des enfants, et l’esprit de corps, le collectif, font en sorte qu’il n’y ait pas de baisse de moral et que les gens puissent continuer à accomplir leurs missions. »
L’Essor : Comment se déroule l’après Chido à Mayotte ?
« On a assisté à deux phases depuis le passage de Chido. Tout d’abord, du samedi 14 au mardi 17 décembre, on a un effet de sidération. Ensuite, à partir du 17, on observe un début de retour à la normale en matière d’habitude des personnes. C’est à dire que, passée la sidération, les gens recherchent des denrées pour l’alimentation, de l’eau, du carburant… D’ailleurs, au delà des files d’attente dans les stations-services et les commerces qui ont pu rouvrir, on assiste aussi à un phénomène singulier : les gens viennent à Mamoudzou pour avoir du réseau et pouvoir envoyer des messages afin de donner des nouvelles à leurs proches. Car le réseau n’est pas encore rétabli partout dans l’archipel. On a donc une concentration de personnes dans le secteur de Mamoudzou et sa périphérie ».
L’Essor : Quel est le rôle des gendarmes dans ce retour à la normale ?
« Cette phase de « normalisation » nécessite une grande vigilance de notre part, notamment en matière d’ordre public. Notre mission principale, c’est de maintenir l’ordre public tout en sécurisant les opérations d’arrivée et de distribution des produits de première nécessité.
« Ne pas rajouter de la crise à la crise »
Le retour d’expérience que nous avons de l’ouragan Irma en 2017, c’est faire attention à ne pas rajouter de la crise à la crise. C’est à dire, faire en sorte que l’ordre public soit totalement préservé. Parmi celles et ceux qui ont vécu Irma, on s’aperçoit que parfois, ils ont été plus traumatisés par les exactions et les pillages qui ont eu lieu après le passage de l’ouragan, que par l’ouragan en tant que tel.
Avec Chido, Mayotte a été dévasté. C’est catastrophique. Place maintenant à la reconstruction. La vie doit reprendre. Mais elle doit reprendre en toute sécurité.
Outre le fait de prévenir les atteintes aux biens et aux personnes, l’autre mission, c’est également de pouvoir rétablir un fonctionnement optimal de la Gendarmerie dans l’archipel. Par exemple, au moment où je vous parle, nos communications ne sont pas efficaces à 100 %. On a là-bas le réseau « Qwartz » qui permet l’interopérabilité avec la Police et les sapeurs-pompiers. Ce réseau radio, similaire au réseau Rubis utilisé en métropole, est encore loin d’être totalement rétabli. »
L’Essor : Vous évoquez les problèmes de réseau de communication. Allez-vous déployer la technologie de communication par satellite « Starlink », déjà utilisée en Guyane ?
« Oui. On a envoyé des stations Starlink à Mayotte.
En Guyane, c’est plus intuitif de le faire hors temps de crise, car le territoire y est très étendu. L’avantage de Mayotte est que le territoire est très resserré en comparaison. Par exemple, avec un hélicoptère, on le traverse en 15 minutes. Ce n’est pas la même chose en Guyane ou en Polynésie.
Le réseau de communication est primordial. Parmi les premiers renforts acheminés à Mayotte, on a ainsi envoyé des spécialistes du Service central des réseaux et technologies avancées (SCRTA) du Mans, avec du matériel pour permettre le rétablissement du réseau. En plus des spécialistes des systèmes informatiques et de communication qui sont venus de La Réunion. Ils sont sur l’île depuis deux jours déjà ».
L’Essor : Quels sont les renforts arrivés à Mayotte et ceux qui vont arriver prochainement ?
« Au moment où je vous parle (ndlr jeudi), nous allons atteindre ce jeudi les 230 militaires arrivés en renfort à Mayotte. D’ici le week-end prochain, nous aurons envoyé tous nos renforts, c’est à dire 400 personnels. En une semaine, nous serons donc passés de 800 à 1;200 militaires de la Gendarmerie à Mayotte. Ce qui montre la capacité de montée en puissance de la Gendarmerie.
Outre les spécialistes, les renforts sont composés de deux escadrons de gendarmerie mobile (EGM), qui viennent en complément des six EGM déjà présents. Cela fera au total huit escadrons dans l’archipel à la fin de cette semaine. Il y aura également deux compagnies de marche de gendarmerie départementale, composées chacune d’une centaine de gendarmes qui viennent de toutes les régions de gendarmerie de l’Hexagone. Comme le disait le général Hubert Bonneau, le DGGN, on est dans la « cohésion nationale ». Et une troisième compagnie de marche est aussi arrivée de La Réunion. Elle est composée de gendarmes départementaux et de réservistes opérationnels réunionnais ».
L’Essor : Quelle va-t-être l’articulation de ses renforts et quelles seront leurs missions ?
« L’idée est de renforcer nos unités territoriales. Il y a trois axes dans nos renforts :
- Les renforts des brigades territoriales, afin de leur permettre de continuer à fonctionner et faire plus qu’à l’accoutumée (accueil, contact avec le public, présence visible sur le terrain sans oublier la problématique judiciaire) ;
- Les gendarmes mobiles qui permettent d’avoir un contrôle de zone renforcé et de pouvoir intervenir sur toute exaction le plus rapidement possible (mais le dispositif est déjà éprouvé à Mayotte et on ne fait que rajouter une couche supplémentaire pour densifier ce que l’on fait déjà) ;
- Le renfort de spécialistes en systèmes de communications, véhicules blindés et moyens aériens, avec notamment des pilotes d’hélicoptère, mais aussi en planification et conduite d’opérations. On a d’ailleurs créé un état-major opérationnel dédié à cette opération. On avait déjà un centre de coordination des opérations pour les actions du quotidien, et on l’a densifié avec un état-major opérationnel dédié à la crise de Chido, vu l’ampleur de la manœuvre ».
L’Essor : Prévoyez-vous l’envoi d’une compagnie de réservistes, comme cela avait été fait pour Irma ?
« À ce stade, ce n’est pas envisagé. On a déjà un mix de renforts avec des gendarmes d’active et des réservistes de La Réunion. Mais on préfère avoir des gendarmes d’active qui ont l’habitude des problématiques judiciaires. D’autant qu’ils peuvent rester sur place plusieurs mois. Un réserviste, c’est pas évident de le faire rester plusieurs mois ».
L’Essor : À propos des blindés, quel est leur rôle ?
« Durant la première phase, que j’appelle de sidération, on est sorti tout de suite. Une des missions premières était le secours aux personnes et le dégagement des axes. L’action des blindés à roue (VBRG) a été remarquable ! On a dégagé les axes très rapidement. En 72 heures, tous les axes structurants de l’île étaient dégagés, permettant l’accès des secours et une liberté de circulation pour la population.
D’ailleurs, comme il n’y avait plus de moyens de communication, ceux qui ont dégagé les axes ont fait jonction avec les unités territoriales. C’est là qu’on a vu que tous les gendarmes étaient sur le terrain, et avec le moral ! Personne n’était abattu, au contraire, ils étaient tous dans leurs missions. Je le répète, il faut saluer cette résilience ».
L’Essor : On a parlé des casernes et des logements détruits ou endommagés, mais y a-t-il aussi des dégâts au niveau des moyens de mobilité ?
« Il y a des dégâts, évidemment. Mais globalement ça va. Il y a plusieurs vecteurs de mobilité à Mayotte. La mobilité aérienne avec l’hélicoptère qui, bien protégé, n’a pas été touché. Les premières images diffusées de la situation à Mayotte ont d’ailleurs été prises depuis notre hélicoptère. Au quotidien, il nous permet d’avoir une vision et une appréciation de la situation depuis les airs.
Il y a la mobilité nautique également. Avec nos bateaux intercepteurs qui ont été mis à l’abri pendant le passage du cyclone et sont maintenant utilisés pour venir en aide à la population et contribuer aux missions de sécurisation.
« Et puis il y a évidemment la mobilité terrestre. On a quelques dégâts, mais globalement, notre parc a tenu le coup ! La difficulté, c’est qu’avec les renforts qui arrivent, il nous faut un parc supplémentaire. Donc on est en train d’acheminer du matériel, à la fois depuis La Réunion et depuis l’Hexagone, pour pouvoir véhiculer et permettre une mobilité de nos renforts ».
L’Essor : Des moyens avaient-ils été mis de côté le temps du passage du cyclone Chido, par exemple avec un repli tactique vers La Réunion avant de revenir dès que possible ?
« Non. Mayotte est située dans une zone de passages cycloniques. Les gendarmes sont donc préparés à cette éventualité. Il y a d’ailleurs un « plan cyclone » de mise à l’abri, comme dans la plupart des territoires ultramarins.
Si aucun militaire n’a été blessé, c’est bien parce que les consignes ont été appliquées. Si nos matériels ont été peu touchés, comme par exemple l’hélicoptère, c’est parce que l’on a appliqué des mesures conservatoires du plan cyclone. Suite aux alertes météo, nous nous étions mis en posture et on a appliqué les consignes. Il faut d’ailleurs saluer le préfet qui a diffusé les alertes et les consignes de mise à l’abri avant l’arrivée du cyclone Chido.
Il y a sans doute eu aussi un facteur chance, mais le respect des consignes a payé. Dans la brigade de Mzouazia, nous avons deux logements de gendarmes qui se sont complètement effondrés. Deux familles se sont retrouvées sous les décombres. Mais il n’y a pourtant eu aucun blessé ».
L’Essor : Justement, vous parlez de victimes. La Gendarmerie participe aussi à leur décompte. Comment appréhendez-vous cette mission particulière et quel est le rôle des gendarmes ?
« On préfère parler de disparus, car pour l’instant, ce sont des victimes disparues. Mais cette mission ne nous incombe pas directement. C’est l’Etat qui la prend en compte, avec un sous-préfet qui est chargé de cette mission spécifique, en lien avec les élus et les autorités religieuses de l’archipel. Ce travail et les investigations réalisées permettent d’arriver à un décompte des disparus le plus fiable possible.
Les équipes d’identification des victimes sont postées à l’hôpital de Mamoudzou. Mais il faut aussi prendre en compte la dimension religieuse et cultuelle qui demande des investigations. Il y a une très grande différence avec l’Hexagone, puisqu’à Mayotte, les gens ne vont pas déclarer naturellement les disparus. D’où la complexité de faire un décompte précis. Les investigations à mener sont aussi importantes. C’est un vrai défi. Il y a des levées de doute à faire, car il peut y avoir aussi des mauvaises informations. Par exemple, une source fiable indiquait mercredi un endroit où il y aurait une soixantaine de cadavres, et finalement il n’y avait rien. C’est une mission essentielle mais qui n’est pas évidente à réaliser.
Dans le cadre de cette mission là, nous participons au titre du renseignement, comme les autres services de l’Etat, aux côtés des pompiers et de l’hôpital. Mais je le redis, ce n’est pas une mission qui nous est spécifiquement confiée. Notre mission principale, c’est préserver l’ordre public ».
L’Essor : Quel est l’effectif global des gendarmes pour l’outre-mer actuellement ?
Si l’on ajoute les 400 gendarmes envoyés en renforts à Mayotte, en comptant les personnels affectés dans les territoires ultramarins, les 1.600 réservistes d’outre-mer et les gendarmes mobiles, ainsi que les renforts en mission courte durée (appui aux opérations) on va arriver à 9.700 gendarmes.
La particularité des outre-mer est que l’on confère aux territoires ultramarins une vraie autonomie pour leur permettre de répondre au quotidien et dès les premières heures d’une crise. Et ensuite, on arrive avec des renforts. C’est le cas à Mayotte. On a déjà une capacité à pouvoir répondre, et on engage des renforts. On ne part pas de rien.
Propos recueillis par Loïc Picard
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