A Grenoble, en quelques heures, l’ambiance est devenue très orageuse entre la Gendarmerie et le parquet. A travers deux déclarations, la Justice et l’Arme viennent de croiser le fer dans un dossier qui devrait laisser des traces. Un événement rare qui pourrait déboucher sur une nouvelle crise entre Intérieur et Justice.
Tout commence ce mardi 24 octobre, au matin. L’AFP relaie l’annonce de l’ouverture, dans le cadre de l’affaire de la disparition de la petite Maëlys, d’une enquête pour violation du secret de l’instruction en raison des multiples fuites parues dans la presse. Et le procureur de la République de Grenoble de préciser avoir confié, vendredi 20 octobre, cette enquête préliminaire à la direction centrale de la police judiciaire ! Une saisine tout sauf anodine : Jean-Yves Coquillat déclare à l’AFP avoir des soupçons sur des fuites dans l’enquête « au niveau local et parisien, au niveau de la direction de la gendarmerie, de la section de recherches et de l’Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie (IRCGN) ».
La vive réaction de Richard Lizurey
Des accusations extrêmement graves qui ne sont pas restées longtemps sans réponse. « Accuser en disant que cela vient de tel ou tel endroit, sans enquête, c’est scandaleux », a réagi, à L’Essor, le général d’armée Richard Lizurey. Des services sont accusés de fuites « alors qu’il n’y a pas le début d’une preuve, assure le patron des gendarmes. Je soutiens mes personnels engagés dans une enquête difficile ».
Déstabilisé par l’annonce surprise d’Emmanuel Macron sur la remise en cause, pour la Gendarmerie, de l’application de la directive européenne sur le temps de travail – la Gendarmerie n’avait pas été informée – Richard Lizurey doit gérer une nouvelle crise, cette fois-ci avec la Justice. Il faut dire qu’en explicitant précisément ses soupçons, le procureur de Grenoble n’a guère laissé le choix au patron des gendarmes.
observe Guillaume Didier, ancien porte-parole du ministère de la Justice de 2007 à 2010. ajoute ce magistrat en disponibilité, associé au cabinet de conseil Vae Solis.
Le secret de l’instruction
Le procureur avait-il besoin de préciser ses soupçons ? L’ouverture d’une enquête pour violation du secret de l’instruction est déjà une information en soi. Les journalistes auraient pu être concernés par une enquête pour recel de violation du secret de l’instruction. Les avocats sont eux soumis au secret professionnel. Seuls les enquêteurs, les experts et les magistrats sont tenus au secret de l’instruction. L’affaire de la disparition, à la fin août lors d’un mariage à Pont-de-Beauvoisin (Isère), de la petite Maëlys ayant été confiée à des gendarmes, le nombre de suspects est donc déjà clairement délimité.
« Qu’une enquête soit ouverte, il n’y a rien de choquant en soi, poursuit Guillaume Didier. Il y a un moment où l’autorité judiciaire doit rappeler la loi. » Confier cette enquête sur des gendarmes à un service judiciaire de la police nationale est cependant un signal clair de défiance. « L’IGGN aurait pu être saisie », souligne un ancien haut gradé de la Gendarmerie.
Quelles suites?
Désormais, les regards se tournent vers la Chancellerie. La garde des Sceaux Nicole Belloubet va-t-elle intervenir dans ce conflit ? En fin d’après-midi, le ministère de la Justice n’avait pas réagi aux sollicitations de L’Essor. « Cela sera très compliquée pour Nicole Belloubet : l’enquête est en cours, des magistrats sont saisis », pronostique Guillaume Didier. Tout au plus la ministre de la Justice pourrait suggérer de « la sérénité » et rappeler « les excellentes relations quotidiennes entre magistrats du siège et du parquet et les services d’enquête de la gendarmerie et de la police ».
Pas sûr que de tels éléments de langage ne suffisent à éteindre l’incendie. Pourtant, il y a urgence d’arriver à un apaisement à la faveur d’une « explication » entre le directeur général et le procureur, souligne Guillaume Didier. observe-t-il. Or, en juridiction, il y a déjà assez de difficultés liées au travail en lui-même, de pression, pour ne pas avoir à affronter en plus des tensions et des rancœurs ».
Pierre-Marie GIRAUD et Gabriel THIERRY.
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