Ils sont dix-sept suspects, à l’origine selon la police de l’agression de policiers aux cocktails Molotov à Viry-Châtillon (Essonne). La justice tient-elle ses « sauvageons »? La question agite la Grande Borne, un an après. L’enquête a cerné dix-sept suspects, membres d’une même bande. Mais sans preuves irréfutables, la défense redoute « l’erreur judiciaire ».
Les « sauvageons » seront « rattrapés ». Le ministre de l’Intérieur de l’époque, Bernard Cazeneuve, l’avait promis après de quatre policiers en lisière de la Grande Borne, cité difficile à cheval sur les communes de Grigny et Viry-Châtillon, en Essonne. Le 8 octobre 2016, deux véhicules de police étaient pris d’assaut par un groupe d’individus cagoulés et munis de treize cocktails Molotov, et s’embrasaient en plein jour. Deux policiers en ressortaient gravement brûlés, deux autres plus légèrement.
L’agression, dont l’enquête doit établir si elle répondait à l’installation d’une caméra de vidéosurveillance destinée à endiguer des vols violents à la portière, avait un immense retentissement et déclenchait une fronde inédite dans la police. Un an plus tard, ils sont 17 jeunes, âgés de 16 à 21 ans lors de l’attaque, mis en examen pour « tentative de meurtre sur personne dépositaire de l’autorité publique ». Douze d’entre eux sont toujours en détention provisoire.
La bande la comme « Serpente »
La plupart appartiennent à une même bande, selon une source proche de l’enquête. Celle de la comme « Serpente », du nom de la rue où ils avaient l’habitude de se rassembler. « Pas un gang à l’américaine », raconte un de leurs avocats, plutôt « des jeunes qui jouent au foot ensemble depuis petits » et fument la chicha. Dans le « village » de la Grande Borne – ou « GB », labyrinthe de 3.600 logements sociaux considéré comme l’une des cités les plus sensibles d’Île-de-France – de nombreux habitants les connaissent. Souvent sous leurs surnoms: « Lookaz », « Koosdar », « Dondon », « Toum’s », « Ninio » ou encore « Roro ».
Certains ont vécu leur première garde à vue avec cette affaire. D’autres avaient déjà un pedigree. Quatre d’entre eux ont été condamnés devant des tribunaux pour enfants à de la prison ferme pour des agressions violentes en 2015. Un cinquième s’est fait arrêter la même année en possession de cocktails Molotov.
Une violence qu’ils exercent aussi entre eux. « Roro » a été passé à tabac par d’autres membres de la « S » en décembre: les enquêteurs pensent qu’il en avait trop dit à une copine sur l’attaque. Lors des auditions, les codes du quartier ont été diversement suivis. Beaucoup ont nié en bloc, d’autres ont reconnu leur présence, certains avoir lancé des pierres. Mais aucun n’a assumé le jet d’un cocktail Molotov.
« Leurs déclarations sont fluctuantes. Ces gamins s’expriment mal et sont empêtrés dans les lois de la cité: même s’ils n’ont rien fait, ils sont prêts à se mettre en difficulté pour éviter d’être une balance », soupire un conseil.
Des indices concordants sans preuves irréfutables
Sans aveu, les enquêteurs ont réalisé un travail de fourmi pour recueillir mais « pas de preuves irréfutables », selon un policier, connaisseur du département. Aucun témoin visuel – les agresseurs étaient cagoulés et gantés -, une vidéosurveillance d’une piètre qualité, de l’ADN qui ne donne rien…
Sans compter l’omerta du quartier: l’appel à témoin et la gigantesque opération de porte-à-porte – 900 foyers interrogés – n’ont rien donné. « À la Grande Borne, personne ne peut se permettre d’être une poucave (de dénoncer, ndlr) », confie un proche d’un suspect.
Seul un indic implanté à la Grande Borne a fourni aux enquêteurs leurs premières pistes. Avant qu’ils ne débusquent un témoin anonyme puis un autre témoignage accablant: celui d’un membre de la « S ». Lui évoque une réunion préparatoire de l’attaque et désigne trois instigateurs.
A l’unisson, les avocats de la défense rencontrés par l’AFP discréditent ce témoin à charge. « C’est un type qui fait du trafic de stups de manière notoire, qui accuse les gens par des témoignages indirects », enrage Me Jacques Bourdais, en agitant le spectre de « l’erreur judiciaire ».
Des demandes de confrontation
Plusieurs réclament une confrontation avec lui. « Vraisemblablement, personne ne peut nous le présenter », lâche Me Deborah Meier-Mimran: le garçon a fui la Grande Borne. « La police a ramassé large, en se focalisant sur cette bande, et derrière elle laisse la justice faire le tri », s’agace Me Christophe Gouget. Me Sarah Mauger-Poliak craint que le réflexe du « tous les mêmes » l’emporte aux assises sur le souci « d’individualiser les rôles ». « On est sur une co-action », rétorquent les avocats des policiers, Laurent-Franck Lienard et Thibault de Montbrial. Autrement dit, si tous les suspects ont participé à l’attaque, la loi permet de leur infliger une peine identique.
« L’intention d’homicide est très claire, estime Me de Montbrial. Ce sont des jeunes qui sont dans une logique tribale et traitent la police comme une bande rivale ».
Les juges poursuivent leur instruction : plusieurs des mis en examen sont convoqués en octobre pour de nouvelles auditions et les premières confrontations. Le policier le plus gravement brûlé, lui, s’apprête à subir une nouvelle greffe au visage. Pour l’heure, une seule chose paraît vraiment acquise: le compte n’y est pas. Sur l’une des rares vidéos exploitables du 8 octobre, on dénombrait 19 assaillants.
(Avec AFP).
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