Livre événement : le GIGN par ceux qui l’ont commandé

Photo : Debout, six anciens commandants du GIGN, et assis, son actuel commandant Ghislain Réty, réunis lors de la soirée de présentation du livre "Le GIGN par ceux qui l'ont commandé" de Pierre-Marie Giraud. (Photo: L.Picard / L'Essor)

15 décembre 2023 | Vie des personnels

Temps de lecture : 7 minutes

Livre événement : le GIGN par ceux qui l’ont commandé

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Les militaires du Groupe d'intervention de la Gendarmerie nationale (GIGN) sont d’abord des gendarmes. Pour intégrer l’unité, ils ont du subir une sélection sévère, se former pour devenir des combattants aguerris, s’entraîner en permanence, pour donner, en opérations, le meilleur d’eux-mêmes.

Dix-sept en 1974, rassemblés par le lieutenant Prouteau, ils sont plus de 1 .000 aujourd’hui, commandés par le général Réty. Un développement qui s’explique par la montée du terrorisme, des prises d’otages, du nombre de forcenés, mais aussi par la qualité de la formation de ces hommes, qui en font un groupe unique au monde, appelé d’ailleurs à intervenir hors de nos frontières.

Pour raconter cette histoire, en particulier les principaux faits d’arme du groupe, l’auteur a bénéficié du concours actifs de tous ceux qui l’ont commandé. Qui, visiblement en grande sympathie avec lui, lui ont livré quelques secrets, et mêmes des révélations, sur des opérations longtemps couvertes par le secret défense. 

Le livre "Le GIGN par ceux qui l'ont commandé", de Pierre-Marie Giraud. (Photo: L.Picard / L'Essor)

Légende photo: Le livre "Le GIGN par ceux qui l'ont commandé", de Pierre-Marie Giraud. (Photo: L.Picard / L'Essor)

Extraits

Le 24 décembre 1994, au moment de décoller d’Alger pour Paris, un avion Airbus A-320 d’Air France avec 239 passagers, est pris en otage par quatre terroristes de GIA. Après négociations et tergiversations, et la libération de 63 personnes, l’avion décolle et se pose à Marignane à 3 heures du matin. Le GIGN, emmené par le capitaine Denis Favier, est déjà sur place, en position… Dans le livre, Denis Favier, deux fois commandant du GIGN, puis directeur général de la Gendarmerie avant de quitter l'Institution, fait pour la première fois le récit des faits de cet événement qui a marqué à jamais l'unité. En voici un extrait :

L'ancien commandant du GIGN, puis de la Gendarmerie nationale Denis Favier, lors de la soirée de présentation du livre "Le GIGN par ceux qui l'ont commandé" de Pierre-Marie Giraud. (Photo: L.Picard / L'Essor)

Légende photo: L'ancien commandant du GIGN, puis de la Gendarmerie nationale Denis Favier, lors de la soirée de présentation du livre "Le GIGN par ceux qui l'ont commandé" de Pierre-Marie Giraud. (Photo: L.Picard / L'Essor)

"À 17 heures, je descends du PC général au PC ops. Les trois échelles sont en face de nous et les terroristes tirent. C’est le signal de l’engagement. 

Je garde en mémoire, de ce moment, une image particulièrement forte : je quitte le PC ops, je mets mon casque et je rejoins ma passerelle. Là, la trentaine de gendarmes qui sont sur les trois échelles voient le patron arriver et comprennent que l’on va à la guerre. Après avoir tiré sur la tour de contrôle, les terroristes tirent sur les passerelles en mouvement. 

Au moment de donner le top action, je n’ai pas la crainte de l’échec. Nous sommes dans la crise depuis 54 heures, nous avons tenu le choc et nous sommes vraiment dans l’action. Et l’esprit du GI est là, il faut sauver des vies et s’engager. On est porté par l’adrénaline et on sait que, sur les trois portes, deux ne pourront peut-être pas s’ouvrir et que ça va être dur. Pendant le déplacement des passerelles, nous ressentons la puissance du collectif qui nous porte. Malgré les tirs depuis les portes arrière droite et arrière gauche, les trois passerelles continuent à rouler. Chacun prend sa position. Les deux terroristes à l’arrière de l’avion, qui ne sont pas des décideurs mais des exécutants, vont ensuite aller vers l’avant de l’avion pour rendre compte. C’est bien pour nous parce que ça isole la plupart des otages de la zone des tirs, mais c’est aussi plus compliqué pour le groupe de tête car il devra affronter quatre hommes retranchés dans le cockpit avec trois hommes d’équipage. 

La porte avant droite ne s’ouvre pas aussi vite que prévu mais, comme c’est un plan d’assaut d’urgence, on corrige très vite. Jeff, qui pilote la passerelle, a le réflexe de reculer légèrement pour permettre l’ouverture de la porte. Dans les opérations spéciales, c’est un peu toujours comme ça que ça se passe : un grain de sable peut perturber le déroulement de l’opération, voire être la cause d’un échec. Si nous n’avions pas été au GI, nous serions restés coincés en attendant un ordre. L’important au GI, c’est que chacun est imprégné de l’esprit de la mission et sait ce qu’il peut faire pour contribuer à sa réussite. […] L’initiative individuelle, chacun en est comptable et c’est ça qui peut faire basculer. Il y a le briefing, le sens de la mission, chacun doit être imprégné de l’effet à produire mais on autorise, dans le collectif qui est très puissant, l’initiative individuelle. Personne n’a eu à dire à Jeff de reculer. C’est déterminant, car s’il n’y avait pas eu cette notion d’initiative individuelle, la porte ne s’ouvrait pas. 

Nous sommes portés par l’opération, nous avons dormi par petits tronçons. Dans une opération, un quart d’heure de sommeil grappillé, par-ci par-là, va permettre de tenir. On est porté par l’opération et les enjeux sont tels qu’on ne sent pas la fatigue. Quand on peut s’assoupir un quart d’heure, c’est récupérateur. Ce sont des crises qui pompent énormément d’énergie, chaque fois qu’il y a ultimatum. Il y a un travail mental extrêmement lourd que les gendarmes savent parfaitement faire : se mobiliser, décompresser, remonter en tension. 

Nous sommes huit sur l’échelle avant droite et onze sur chacune des deux échelles de l’arrière. Un assaut, c’est extrêmement puissant et violent. Rien ne peut résister à un assaut du GIGN. Il y a une force collective, à la fois par l’armement et la force physique dégagée, qui permet de bousculer l’adversaire et de reprendre l’ascendant sur lui.

Il faut vraiment aller au contact, inverser le rapport de force et déstabiliser l’adversaire. Dans ce cas, le GI a une puissance collective assez impressionnante ! Avec les gilets pare-balles, les casques, les armes à visée laser, il y a un effet de masse considérable, un mouvement que rien n’arrête. Si un gendarme est touché dans la vague d’assaut, il est remplacé et on continue à avancer. C’est un rouleau compresseur qui ne dévie pas de sa trajectoire.

Mais ce n’est pas qu’une mécanique froide car, dans ce rouleau compresseur, on autorise les réactions individuelles. L’alchimie est là et la différence se fait là. 

L’assaut est long. Il durera plus de 17 minutes.

(Denis Favier, dans son récit de l’intervention sur la prise d’otages de l’Airbus reliant Alger à Paris, en décembre 1994)

Très rapidement, les otages sont évacués par les toboggans et récupérés au sol par des gendarmes de l’EPIGN. On sent rapidement que ça va bien pour les otages, mais on a un problème majeur devant avec des blessés graves. Thierry Prungnaud, le premier à entrer dans l’avion, a eu un rôle extraordinaire et a été blessé très grièvement.

Le groupe de l’avant est composé de huit gendarmes : Thierry Prungnaud, Philippe Bardelli, Fabrice Louis, Olivier Houel, Pascal Bourdin, Alain Pustelnik, Eric Arlecchini et moi. Je suis huitième sur la passerelle pendant son déplacement et sixième à la pénétration dans l’avion. Je me mets en appui du côté du couloir de gauche, face au cockpit, à la hauteur du deuxième rang des fauteuils. C’est à cet endroit que je serai le plus à l’aise pour commander. Je dirige à la voix. Je suis à la fois équipier et chef. Les sept gendarmes de la passerelle avant ont été blessés, sauf Jeff et moi. D’autres, qui progressent depuis l’arrière de l’appareil pour venir soutenir notre groupe à l’avant, seront aussi blessés : Thierry Lévêque, Christophe Marx qui perd un doigt, et Roland Martins. 

À cet instant-là, j’ai un moment de doute. C’est tellement compliqué, nous sommes tellement imbriqués. Les tirs sont incessants. Nous ne pouvons pas riposter massivement parce qu’il y a trois membres d’équipage dans le cockpit. Je donne un seul ordre à la radio, c’est l’ordre d’appui feu aux gendarmes positionnés sur le toit de l’aérogare. Thierry Delmotte commande l’appui feu avec des tireurs comme Christian Jacobi. Ils tirent sur ordre en dessous des vitres du cockpit, ce qui nous permettra de mettre fin à l’opération. 

On neutralise finalement les quatre terroristes. Quand les tirs s’arrêtent, à la demande du commandant de bord qui dit à la tour de contrôle que tous les terroristes sont morts, il y a une phase de sidération.
La troisième image importante pour moi, c’est la sortie du cockpit de deux hommes  : le commandant de bord Bernard Dhellemme, blessé au bras, et le mécanicien naviguant. Le troisième naviguant avait sauté plus tôt par le hublot du cockpit. 

C’est le silence. Nous n’avons plus le son des explosions de grenades dans les oreilles. Un silence irréel comme dans du coton. Je n’ai pas le bilan de l’assaut. Je sais qu’il y a des gendarmes blessés. Un moment de stupeur. Il faut se reconnecter au monde réel. Faire le point. Connaître l’état des blessés. Les otages sont-ils tous sains et saufs ? Dix minutes d’incertitude. C’est le brouillard de la guerre. On commence à décompresser mais pas complètement. On ne sait pas s’il n’y a pas un cinquième terroriste parmi les otages au sol. 

On descend de l’avion. On fait le point sur nos blessés. On sait que pour certains, c’est très grave. On se retrouve à une vingtaine sous l’avion. À ce moment, la notion de fraternité d’armes a tout son sens. Les gendarmes sortent du choc. Ils ont tout donné. Certains l’ont payé cher. On a le sentiment d’avoir fait quelque chose hors normes.
Un silence absolu. Le
recueillement. Personne ne parle. Les gens se serrent les uns contre les autres. Des gens qui ne fumaient jamais allument une cigarette. Un grand moment de fraternité. 

Je prends brièvement la parole dans le hangar. Je monte sur une caisse de matériel pour que tout le monde m’entende. Pour leur dire clairement que nous venons de connaître quelque chose d’énorme, même si chacun en est progressivement conscient. Que le patron le dise, ça a son poids. Je donne des nouvelles de nos blessés, des passagers et des membres d’équipage. Je tiens des propos de patron."

Pierre-Marie Giraud, lors d'une séance de dédicace de son livre "Le GIGN par ceux qui l'ont commandé". (Photo: L.Picard / L'Essor)

Biographie de Pierre-Marie Giraud

Pierre-Marie Giraud est né à Lyon, en 1948. Pendant quarante ans, il a été journaliste à l’Agence France Presse (AFP). Il a ensuite rejoint, en 2014, la rédaction de L’Essor de la Gendarmerie. En 2018, chez la même maison d’édition, Mareuil  Editions, il avait déjà publié la biographie d’Arnaud Beltrame, L’Héroïsme pour servir.

C’est l’un des meilleurs spécialistes de la Gendarmerie. Grâce à un carnet d’adresses remarquable, il a pu réussir, avec cet ouvrage, l’exploit de pouvoir s’entretenir avec tous les patrons du GIGN, sans exception. Chacun de ses commandants a imprimé sa marque à cette unité d’élite. C’est ce que raconte cet ouvrage. Un travail qui, à ce jour, n’avait encore jamais été fait et que seul, sans doute, Pierre-Marie Giraud était en mesure de mener à bien, à l’aube du 50e anniversaire de la fondation de l’unité.

Alain Dumait

La Lettre Conflits

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